Sur la trace des poissons : immersion dans les rivières et canaux d’Hénin-Carvin

30/10/2025

Une biodiversité aquatique méconnue aux portes d’Hénin-Carvin

Au fil de la Scarpe, du canal de la Deûle ou encore des tronçons de la Souchez, l’eau s’écoule lentement ou s’anime selon les marées, les pluies et les saisons. Que l’on vienne pêcher, se promener sur un chemin de halage ou observer la faune en silence, beaucoup ignorent la diversité poissonneuse qui sommeille sous la surface brune ou limpide de ces eaux du Pas-de-Calais.

Longtemps exploités, redessinés par l’industrie, les rivières et canaux du territoire Hénin-Carvin constituent aujourd’hui des corridors écologiques précieux, refuges d’espèces parfois discrètes mais indispensables à l’équilibre de la vie aquatique et terrestre.

Des milieux multiples, des poissons variés

Distinguer les différents types de cours d’eau et de plans d’eau du territoire est essentiel pour comprendre quels poissons y vivent :

  • Rivières naturelles (Souchez, Scarpe) : eaux parfois rapides, substrats mixtes, températures variables.
  • Canaux (Deûle, canal de Lens, ex-canaux miniers) : eaux plus régulièrement profondes et lentes, rives bétonnées ou frangées de végétation pionnière.
  • Fossés, petits marais, étangs d’anciens sites industriels : milieux temporaires ou permanents, souvent riches en vie aquatique.

Quelles familles de poissons observe-t-on ici ?

  • Cyprinidés (ablettes, gardons, brèmes, carpes, chevesnes…)
  • Salmonidés (truites, très localisées sur la Souchez, rarissimes dans les canaux)
  • Percidés (perches, sandres, brochets...)
  • Siluridés (silures glanes, introduits il y a quelques décennies)
  • Poissons d’eaux stagnantes (tanches, rotengles…)

Les espèces emblématiques d’Hénin-Carvin

L’observation ou la pêche locale permet d’identifier une vingtaine d’espèces relativement fréquentes dans le secteur, auxquelles s’ajoutent quelques espèces remarquables ou plus rares, selon la qualité de l’eau et la connectivité avec d’autres bassins.

Poissons communs des canaux et rivières

  • Le gardon (Rutilus rutilus) : Petite silhouette argentée, ce cyprinidé omniprésent tolère bien la turbidité des eaux et fréquente en bancs les zones à courant lent des canaux et les bras morts des rivières. Taille fréquente : 15 à 20 cm. Il constitue la proie de base de nombreux carnassiers.
  • La brème commune (Abramis brama) : Morphologie aplatie et dos haut, la brème fréquente les zones profondes, formant parfois de grandes populations dans la Deûle ou l’ancien canal de Lens. Gourmette de vase, elle participe au cycle de la matière organique.
  • La perche européenne (Perca fluviatilis) : Avec ses rayures noires et ses nageoires orangées, la perche chasse près des pontons et des piles d’ouvrages où elle embusque alevins et petits poissons. Fréquence en hausse ces dernières décennies, probablement liée à une légère amélioration de la qualité de l’eau.
  • L’ablette (Alburnus alburnus) : Fragile, brillante, elle pullule dans les zones ensoleillées et superficielles, révélant la présence d’eau modérément polluée mais encore vivante.
  • Le brochet (Esox lucius) : Plus rare mais observé dans certains étangs, bords de canaux et bras de la Souchez. Carnassier emblématique, parfois embusqué dans les fossés boisés de zones semi-urbaines. Garde-fou de l’équilibre piscicole, il contrôle la surpopulation d’alevins.

Espèces en déclin ou occasionnelles

  • La truite fario (Salmo trutta fario) : Autrefois abondante en Souchez, où l’eau claire sur gravier offrait des frayères idéales. Sa disparition partielle témoigne d’un dérèglement du régime hydraulique et d’une pollution chronique (hydrocarbures, métaux lourds, apports agricoles).
  • L’anguille européenne (Anguilla anguilla) : Devenue très rare, victime du braconnage, des barrages infranchissables et de la pollution, elle reste une icône locale, parfois capturée par hasard pendant ses migrations.
  • Le chabot (Cottus gobio) : Petit poisson de fond, exigeant en oxygène et amateur de courant frais. Sa présence ou non dans la Souchez permet de surveiller la qualité écologique du cours d’eau (source : DREAL Hauts-de-France, 2022).

Des espèces invasives, une réalité locale

Certains poissons exotiques, introduits volontairement ou accidentellement, sont en forte progression dans les canaux et étangs d’Hénin-Carvin, bouleversant parfois les équilibres.

  • Le silure glane (Silurus glanis) : Ce géant d’Europe centrale, désormais fréquent jusqu’à la Scarpe, dépasse souvent 2 mètres de long. Son omniprésence inquiète pêcheurs traditionnels et naturalistes (source : ONEMA, 2021).
  • La carpe herbivore (Ctenopharyngodon idella) : Importée pour l’entretien des canaux, elle consomme en masse les végétaux aquatiques et perturbe la reproduction d’espèces locales.

Adaptations et cycles de vie fascinants

La vie d’un poisson de rivière ou de canal n’est jamais un long fleuve tranquille. Qu’il doive survivre à des pollutions ponctuelles, à des crues ou à la concurrence de nouvelles espèces, il a développé des ruses étonnantes :

  • Migration : Anguilles et lamproies traversent l’Europe depuis l’Atlantique pour rejoindre nos eaux douces, parfois bloquées par une écluse ou une vanne obsolète.
  • Reproduction en zone marginale : Brochets et tanches attendent la crue hivernale pour frayer dans les prairies inondées de la Deûle ou des zones humides relictuelles.
  • Résistance aux polluants : Certaines ablette et goujons survivent là où les eaux sont temporairement pauvres en oxygène, le chevaine, lui, s’accommode de changements brusques de température.

Pressions, risques et espoirs sur la biodiversité piscicole

À quoi ressemble l’état de santé des populations piscicoles d’Hénin-Carvin aujourd’hui ? Plusieurs facteurs influencent directement leur évolution :

  • Pollution : La qualité de l’eau s’est légèrement améliorée depuis les années 1980, mais reste fragile. La DREAL Hauts-de-France a relevé des concentrations d’azote et de pesticides parfois élevées (bassin de la Deûle, synthèse 2022). Les hydrocarbures issus d’anciennes concessions minières persistent dans certains substrats.
  • Fragmentation des cours d’eau : Barrages, vannes, anciennes infrastructures minières freinent la libre circulation des poissons migrateurs. Entre 2012 et 2022, plusieurs passes à poissons ont été construites sur la Scarpe et la Deûle pour tenter de restaurer les déplacements, essentiels à la reproduction (Agence de l’Eau Artois Picardie, bilan 2023).
  • Espèces exotiques envahissantes : La prolifération de silures, d’écrevisses américaines et de gobies menace l’équilibre biologique des petits milieux.
  • Perte d’habitats naturels : L’artificialisation des berges et la rectification des rivières privent certains poissons des caches et zones de nourrissage qu’ils affectionnent.

L’ombre des pollutions historiques

Dans la Souchez, près de Noyelles-Godault, des traces de plomb et de mercure issus d’anciennes activités industrielles sont encore mesurées dans les sédiments (Université d’Artois, étude 2022). Leur toxicité décime les invertébrés aquatiques de base, ce qui réduit également la capacité d’accueil pour les poissons d’intérêt.

Néanmoins, le retour de la loutre sur la Scarpe et la présence ponctuelle du martin-pêcheur témoignent d’une dynamique positive récente et fragile.

Observer les poissons : pratiques locales et initiatives pédagogiques

Aujourd’hui, plusieurs associations, fédérations de pêche et écoles participent à faire redécouvrir les poissons de la région, dans une démarche à la fois scientifique et ludique.

  • Ateliers de pêches « découverte » : Organisés notamment par la Fédération de pêche du Pas-de-Calais, ils permettent aux jeunes et aux familles d’identifier les principales espèces et de comprendre leur rôle dans l’écosystème (source : www.peche62.fr).
  • Programmes scolaires « rivière vivante » : Sorties accompagnées sur les bords du canal ou de la Souchez, où l’on observe à l’épuisette ou à l’aquascope (matériel transparent pour voir sous l’eau) les alevins, invertébrés et œufs de poisson. Les campagnes de sciences participatives encouragent les relevés citoyens.
  • Inventaires participatifs « poissons et amphibiens » : Plusieurs inventaires sont en cours à l’échelle du bassin versant pour aider à repérer les zones à restaurer et les espèces à protéger (menés par le Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut, rapports annuels consultables).

Valoriser et protéger un patrimoine discret

Les poissons des rivières et canaux d’Hénin-Carvin ne sont pas seulement des indicateurs de la qualité de l’eau ou des cibles pour les pêcheurs. Ils sont révélateurs des équilibres locaux, du lien entre ville et campagne, et de notre capacité à cohabiter avec le monde sauvage.

En réhabilitant certains fossés, en maintenant des friches humides ou en aménageant des passes à poissons, le territoire contribue à préserver ce patrimoine discret mais vivant. La meilleure façon de les découvrir reste encore l’observation paisible, la curiosité et la transmission aux générations qui viennent.

Ressources bibliographiques et liens utiles :

  • DREAL Hauts-de-France, état écologique des rivières, synthèse annuelle 2022.
  • Agence de l’Eau Artois Picardie, rapport 2023 sur les cours d’eau du bassin.
  • Université d’Artois, « Pollution industrielle et biodiversité en bassin minier », 2022.
  • Site de la Fédération de pêche du Pas-de-Calais : peche62.fr.
  • Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut, rapports inventaires faune aquatique.

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