Vivre au rythme des berges : immersion dans la biodiversité discrète de nos cours d'eau et canaux

27/10/2025

Le fil de l’eau, un corridor de vie au cœur du territoire

Au fil des siècles, l’eau a sculpté les paysages d’Hénin-Carvin : la Deûle, la Souchez, la rivière la Becque, ses affluents et les nombreux canaux industriels forment un maillage unique. Autrefois choyés, souvent délaissés, ces axes aquatiques sont redevenus essentiels pour la biodiversité locale. Ils constituent des corridors écologiques, permettant à la faune et la flore de circuler, d’échanger, de survivre et même de recoloniser les milieux urbains.

La richesse de ces milieux ne se mesure pas qu’à l’œil nu. Selon le bilan 2022 de l’Office français de la biodiversité, près de 50 % des espèces d’oiseaux, 30 % des plantes vasculaires et 70 % des amphibiens de la région Hauts-de-France dépendent directement ou indirectement des milieux aquatiques linéaires. Pourtant, moins de 22 % des rivières et canaux de la région sont considérés comme étant en bon état écologique (DREAL, 2023).

Inventaire : qui vit le long des berges ?

Sous le miroir de l’eau et dans la discrétion des berges, se cache une biodiversité bien plus foisonnante qu’on ne l’imagine.

Amphibiens & reptiles : sentinelles des milieux aquatiques

  • La grenouille agile, aux mues annuelles et aux amours bruyantes, fréquente les fossés temporaires et les bras morts. Elle préfigure souvent la qualité du milieu : c’est un puissant bio-indicateur, car elle ne tolère ni pollutions ni interventions brutales sur la végétation.
  • Le triton crêté, espèce protégée en Europe, a été observé dans le bassin minier d’Hénin-Carvin (Inventaire National du Patrimoine Naturel).
  • L’hermine et la couleuvre à collier, plus rares mais toujours présentes, profitent de la tranquillité matinale des talus humides et des roselières.

Oiseaux : la rivière pour scène ouverte

  • Le martin-pêcheur d’Europe niche dans les berges de terre crue, creusant des tunnels à flanc de rive. Une observation a été signalée sur le canal de la Deûle dès l’hiver 2023 (GON, Groupe ornithologique et naturaliste du Nord Pas-de-Calais).
  • La gallinule poule-d’eau et le foulque macroule colonisent en famille les canaux, aux côtés du discret bouscarle de Cetti, symbole du retour des milieux humides de bonne qualité.
  • Le héron cendré se poste, imperturbable, à la lisière des saules, guettant l’ombre d’un goujon ou d’une grenouille.

Mammifères : habitants de l’ombre et du crépuscule

  • Le castor d’Europe fait en ce moment un lent mais régulier retour vers le nord de la France. Si sa présence a été confirmée dans la vallée de la Lys, il reste à surveiller ses velléités d’installation plus à l’est.
  • La loutre d’Europe est beaucoup plus discrète mais progresse, grâce à la trame bleue restaurée autour des affluents de la Scarpe (PNPE, Rapport Loutre 2020).
  • Le campagnol amphibie boude souvent les habitats trop entretenus ou dégradés, mais il reste localisé sur certains tronçons du canal d’Aire à La Bassée.

Insectes et autres invertébrés : à la base de la chaîne alimentaire

  • Libellules et demoiselles offrent un bal permanent en lisière des roseaux : près de 35 espèces recensées dans le département, dont l’agrion de Mercure, en déclin au niveau national (Odonatologues de France, 2021).
  • La moule d’eau douce ou anodonte filtre plusieurs litres d’eau par jour, jouant un rôle crucial pour la dépollution naturelle des canaux.
  • Invertébrés spécifiques des litières ou du fond minéral, les gammares ou les larves d’éphémères nourrissent les poissons et nombre d’oiseaux.

Flore : la richesse au fil du courant

  • L’iris des marais (Iris pseudacorus), dont la floraison jaune illumine les berges au printemps, tolère de brèves pollutions mais pas la végétation fauchée à ras plusieurs fois l’an.
  • Le scirpe des marais et la rubanier structurent les rives et fixent la berge, limitant l’érosion tout en offrant le gîte à de multiples invertébrés.
  • Plus discrète, la potamot s’accroche sous l’eau et abrite têtards, petits poissons et juvéniles d’invertébrés.
  • Sur certains anciens bras asséchés, on trouve même orchis et épipactis, orchidées sauvages inféodées à ces sols humides, signalant un patrimoine végétal d’exception (Conservatoires botaniques).

Des milieux fragiles, confrontés à de multiples pressions

L’écosystème des cours d’eau et canaux est particulièrement sensible. Plusieurs pressions, souvent invisibles, perturbent cet équilibre :

  • L’artificialisation des berges : le bétonnage limite la circulation des espèces, réduit les zones de refuge et altère la régénération naturelle.
  • L’entretien mécanique intensif (fauches, curages fréquents) appauvrit la végétation des rives, impactant directement reptiles, oiseaux et invertébrés (CPIE Chaîne des Terrils).
  • La pollution urbaine et agricole : nitrates, phosphates et micropolluants dégradent la qualité de l’eau, favorisent la prolifération d’espèces envahissantes, raréfient la faune locale (DREAL Hauts-de-France, 2023).
  • Espèces exotiques envahissantes : la jussie, l’écrevisse de Louisiane ou la renouée du Japon menacent directement la biodiversité indigène et perturbent les usages.
  • Le changement climatique : multiplication des sécheresses, épisodes de crues soudaines, baisse des débits et surchauffe de l’eau perturbent cycles de reproduction, migrations et chaînes alimentaires.

Selon l’Agence de l’eau Artois-Picardie, 40 % des tronçons de rivières de la région présentent une végétation trop rare sur les berges. En moyenne, seuls 18 % des linéaires de canaux offrent une trame de végétation continue suffisamment développée.

L’enjeu local : initiatives, suivis et perspectives

Des inventaires participatifs, souvent menés par des associations comme le GON, le CPIE Chaîne des Terrils ou des collectifs d’habitants, ont permis de recenser près de 350 espèces de plantes et animaux directement liés aux berges d’eau douce sur le Bassin minier. La LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) suit ainsi le retour du martin-pêcheur sur les canaux requalifiés d’Hénin-Beaumont depuis 2021.

  • Restauration écologique : Suppression progressive des enrochements, création de mares de transition, plantation de saules têtards sur les linéaires artificialisés.
  • Gestion différenciée des berges : plus de fauche systématique, création de zones refuges, arrêt des traitements chimiques à proximité des cours d’eau.
  • Suivis participatifs : chantiers bénévoles de nettoyage, suivis de ponte d’amphibiens, inventaires d’odonates.
  • Sensibilisation des riverains : ateliers, balades découvertes, pose de panneaux d’information sur la faune/flore locale.

Une expérience marquante réside dans la requalification paysagère des berges du canal de Dourges : en moins de 5 ans, 22 espèces d’oiseaux, 7 espèces de libellules et la réapparition de la cressonnette ont été documentées là où, auparavant, la monoculture d’herbe dominante excluait toute biodiversité observable.

Conseils pour observer sans déranger

  • Privilégier les débuts ou fins de journée : amphibiens et mammifères se montrent surtout à la fraîche.
  • Avancer doucement, en silence, idéalement accompagné de jumelles, pour ne pas effrayer oiseaux et reptiles.
  • Rester sur les sentiers balisés ; marquer une pause longue sur un petit pont ou sous un vieux saule attire parfois la curiosité des habitants de la berge.
  • Éviter de lancer des objets dans l’eau ou de perturber les herbiers : une grande partie de la vie aquatique se cache sous la surface.
  • Participer à un inventaire citoyen ou une sortie naturaliste permet d’apprendre à identifier espèces et traces avec l’aide de bénévoles expérimentés.

Les canaux et rivières d’Hénin-Carvin sont souvent accessibles en vélo ou à pied, offrant une multitude de points d’observation. Plusieurs tronçons disposent d’observatoires ou de plateformes aménagées par les collectivités locales (Communauté d’Agglomération Hénin-Carvin, 2023).

Un patrimoine à découvrir et à transmettre

La biodiversité des cours d’eau et canaux n’est jamais figée : elle dépend des efforts collectifs et de la vigilance de chacun. Redonner vie à une berge laissée “en friche”, accepter la présence du saule ou du roseau, c’est offrir à la faune locale un habitat plus riche – et redonner à notre territoire un patrimoine naturel vivant et partagé.

Enfin, se souvenir que chaque promenade, chaque observation, chaque geste de préservation transforme un simple canal en un corridor de vie, où se nouent l’histoire humaine et les cycles naturels : à la croisée de la rigueur écologique et du regard émerveillé.

Sources principales : OFB, DREAL Hauts-de-France, PNPE, LPO, CPIE Chaîne des Terrils, INPN, Agence de l’eau Artois-Picardie, GON, Observatoire régional de la biodiversité.

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