Renouer avec la vie sur les toits : l’impact des toitures végétalisées en ville

15/08/2025

Comprendre les toitures végétalisées : bien plus qu’un effet de mode

Une toiture végétalisée, c’est une couverture de bâtiment totalement ou partiellement recouverte de végétation et de substrats — un mélange de terre, graviers et matières organiques — capables de soutenir la vie végétale. La simplicité de l’idée cache une grande diversité de techniques : toits légers couverts de sedums, véritables prairies urbaines, voire potagers aériens. Originaires d’Europe du Nord, les toitures végétalisées ont fait leur apparition dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais il y a une vingtaine d’années, souvent à l’initiative de bailleurs sociaux ou de mairies.

  • Extensives : peu épaisses (environ 8-15 cm de substrat), elles accueillent principalement des plantes grasses, mousses ou herbes indigènes, nécessitant peu d’entretien.
  • Intensives : plus épaisses (20 cm et plus), elles permettent des plantations semblables à des jardins, demandant plus d’arrosage et de gestion, mais aussi plus de bénéfices écologiques.

Selon l’Observatoire national des toitures végétalisées, la France comptait environ 1,4 million de m² de toitures végétalisées installées en 2022, un chiffre en progression de 10 % par rapport à 2021 (source : ADIVET).

Lutte contre les îlots de chaleur urbains : des toits qui rafraîchissent la ville

Nos villes, minéralisées et denses, sont les championnes de l’accumulation de chaleur. L’Agence de la transition écologique (ADEME) estime qu’en période de canicule, la température peut grimper de 2 à 5°C de plus en ville qu’en périphérie rurale — c’est l’effet d’« îlot de chaleur urbain ». Les toitures végétalisées proposent ici une solution tangible :

  • Le substrat et la couverture végétale absorbent les rayons du soleil, au lieu de les réfléchir comme le bitume.
  • La transpiration des plantes (évapotranspiration) rafraîchit l’air ambiant, agissant comme d’infimes climatiseurs naturels.
  • Une étude menée à Lyon a montré que la température à 1 mètre au-dessus d’un toit végétalisé était en moyenne 3°C inférieure à celle d’un toit nu en été (source : INSA Lyon, 2019).

À l’échelle du quartier, multiplier ces toitures revient à installer un puzzle de zones fraîches, capables de limiter le recours à la climatisation, tout en réduisant la mortalité liée aux vagues de chaleur.

Filtration et régulation des eaux pluviales : la résilience face aux inondations

Un autre enjeu majeur de la ville contemporaine réside dans sa gestion de l’eau. Les imperméabilisations massives accélèrent le ruissellement des pluies, saturent les réseaux d’égouts et multiplient les inondations éclairs.

  • Une toiture végétalisée extensive capte et stocke jusqu’à 60 % de l’eau de pluie annuelle (source : CEREMA).
  • Elle la libère progressivement par évaporation ou infiltration, soulageant ainsi les réseaux.
  • Les plantes et le substrat agissent également comme premiers filtres contre les polluants (poussières, particules fines, métaux lourds).

Après l’orage du 19 juin 2021, qui avait subi Hénin-Carvin, une expérimentation menée sur l’école « Les Marronniers » a montré que son toit végétalisé avait permis de réduire de 42 % le pic de ruissellement dirigé vers le réseau collectif, comparé à une toiture traditionnelle située à proximité (donnée issue de la mairie d’Hénin-Beaumont).

Des toitures-refuges : brèches pour la biodiversité urbaine

En France, 80 % de la population vit en milieu urbain ou périurbain (source : INSEE, 2021). Mais vivre en ville n’est pas synonyme d’absence de nature. Les toitures végétalisées offrent à la fois de nouveaux habitats et des zones-relais pour la faune et la flore.

  1. Plantes spontanées : sur les toits extensifs, les graines disséminées par le vent, les oiseaux ou les insectes peuvent germer, enrichissant la composition végétale d’origine.
  2. Pollinisateurs et insectes auxiliaires : en ville, le besoin de ressources mellifères et de refuges est crucial pour des espèces telles qu’abeilles sauvages, syrphes ou coccinelles. Une toiture végétalisée diversifiée peut héberger 10 fois plus d’espèces d'insectes que son équivalent minéral (source : Université de Bâle, 2020).
  3. Oiseaux nicheurs : goélands, rougequeues, moineaux, voire faucons crécerelles peuvent y trouver des espaces de nidification sécurisés, à l’abri des prédateurs terrestres.

L’effet corridor écologique est indéniable : les toitures forment des marches naturelles qui relient parcs, jardins et friches, permettant une circulation faunistique et floristique à l’échelle urbaine.

Qualité de l’air et atténuation de la pollution sonore

Un toit végétalisé ne fait pas qu’embellir le paysage ou capter l’eau ; il agit aussi en filtre vivant vis-à-vis de la pollution urbaine. De nombreuses études attestent de la capacité de ces installations à :

  • Piéger des particules fines (PM10 et PM2,5) grâce à la surface foliaire et au substrat.
  • Absorber certains polluants gazeux (ozone, dioxyde d’azote) via la photosynthèse.
  • Améliorer le confort acoustique : selon l’INRS, un toit végétalisé réduit en moyenne de 8 à 10 décibels le bruit extérieur, un atout survolté dans les zones proches de voies ferrées ou d’axes de circulation intenses.

À grande échelle, ces toits demeurent encore marginaux au regard du volume d’air urbain à purifier, mais leur effet cumulé n’est pas négligeable, notamment dans les zones sensibles (écoles, hôpitaux, crèches).

Favoriser une nouvelle culture urbaine : lien social et bien-être collectif

Les bénéfices des toitures végétalisées dépassent les aspects purement écologiques. Elles représentent aussi de nouveaux espaces de partage, d’éducation et de lien avec le territoire :

  • Pédagogie : Nombre d’écoles ou de centres sociaux aménagent des potagers sur leurs toits, offrant aux enfants la possibilité d’expérimenter le cycle des saisons, de semer, récolter et comprendre le métier de paysan urbain.
  • Cohésion : L’installation d’une toiture-jardin implique des habitants, génère des débats sur la végétalisation, et embarque les usagers dans le projet urbain.
  • Santé mentale : Une étude menée à Toronto révèle que l’accès visuel à de la verdure sur les toits augmente de 17 % la sensation de bien-être chez les riverains par rapport à un quartier densément bâti (source : Toronto City Report, 2018).

Des défis à relever : techniques, coûts, enjeux d’entretien

Végétaliser une toiture ne s’improvise pas. Tous les bâtiments ne s’y prêtent pas (solidité, étanchéité, inclinaison du toit), et le coût initial reste plus élevé qu’une couverture traditionnelle (de 100 à 200 €/m², selon l’ADEME, hors subventions). Les économies générées sur la durée (isolation thermique accrue, longévité de la membrane d’étanchéité, baisse des frais d’inondation) équilibrent ensuite la balance.

  • Il existe des aides régionales, nationales et européennes pour accompagner la démarche (notamment le Fonds vert pour la Biodiversité, programme européen LIFE dans certaines villes du Pas-de-Calais).
  • L’entretien minimum (désherbage, vérification de la bonne croissance, contrôles annuels) garantit la pérennité de l’ouvrage, mais reste très inférieur à celui d’un jardin classique.
  • De nouveaux territoires du bassin minier expérimentent la végétalisation partielle sur toitures en sheds ou sur bâtiments industriels, mobilisant des matériaux locaux et des espèces indigènes adaptées à la sécheresse (source : « Programme Nature en Ville », CGET, 2023).

Et à Hénin-Carvin ? Expériences locales et perspectives

La région minière n’a pas attendu les grandes métropoles pour expérimenter des solutions innovantes. Depuis 2016, la communauté d’agglomération Hénin-Carvin a lancé un plan de soutien à la végétalisation, avec une centaine de mètres carrés de toitures végétales installées sur les bâtiments publics, des ateliers scolaires et des animations annuelles lors de la Semaine du développement durable.

Des collaborations existent aussi avec le Parc Naturel Urbain du Sud, où des suivis naturalistes sont menés chaque année. Ces suivis ont mis en lumière la présence de plusieurs espèces patrimoniales sur les toits des collèges rénovés, notamment le syrphe ceinturé et des petites orchidées spontanées, indices d’un début de reconstitution d’un écosystème.

Plus largement, ces retours démontrent que loin d’être réservée aux hyper-centres ou aux grandes villes, la toiture végétalisée s’invite dans des friches industrielles, des quartiers d’habitat social ou dans de modestes écoles de périphérie. Chaque toiture végétalisée multiplie la capacité de résilience, tisse des liens entre habitants, et déploie un nouvel imaginaire pour la ville de demain.

Vers des villes (vraiment) vivantes : pistes de réflexion

Multiplier les toitures végétalisées en ville, ce n’est pas seulement verdir un peu plus nos paysages. C’est repenser notre appartenance et notre cohabitation avec la Nature, même en ville. Face aux urgences climatiques, à la fragmentation des habitats, à la raréfaction des espaces verts de proximité, elles constituent un levier concret vers des villes plus perméables, plus justes et plus vivantes.

Les chiffres et expérimentations locales sont sans appel : chaque mètre carré végétalisé ramène un peu de frais, abrite la diversité, retient l’eau, allège la pollution et apaise les regards.

La généralisation des toitures végétalisées, à Hénin-Carvin et ailleurs, ne tient pas seulement à une volonté politique ou à des capacités techniques. Elle passe d’abord par une envie — celle d’habiter ensemble un territoire moins minéral, plus hospitalier pour les humains comme pour les autres vivants.

À méditer, peut-être, lors de votre prochaine promenade sur un trottoir surchauffé, ou, qui sait, sur votre propre toit.

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