Les terrils réinventés : biodiversité retrouvée sur les géants noirs du pays minier

11/09/2025

Comment la biodiversité s’empare des terrils : processus et mécaniques

Après l’arrêt de l’exploitation minière dans les années 90, la végétation spontanée a commencé à coloniser les terrils, profitant de l’absence de gestion intensive. Sur ces buttes de schistes, exposées au vent et à la chaleur, la nature improvise : mousses pionnières, herbacées robustes, puis arbustes et finalement, forêts. Ce processus, qu’on nomme succession écologique, se produit par vagues sur des décennies, et chaque étape attire sa propre cohorte d’espèces.

  • Terrils jeunes : mousses, lichens, espèces pionnières (bourrache, œillet des Chartreux)
  • Terrils plus anciens : bosquets de bouleaux, saules, pelouses sèches riches en orchidées, milieux forestiers

D’un terreau artificiel est né un creuset d’habitats variés, où la chaleur du schiste crée des microclimats propices à des espèces rares dans la région (notamment les reptiles).

Panorama des terrils-refuges à Hénin-Carvin et dans le Pas-de-Calais

1. Terril du 94 (Haillicourt) : orchidées et pelouses sèches

À Haillicourt, près de Bruay-la-Buissière, le terril 94 est un champion de la reconquête végétale. Sa partie sommitale, orientée plein sud, abrite une mosaïque incroyable de pelouses sèches, rares dans le nord. Plusieurs espèces d’orchidées y fleurissent chaque année au printemps :

  • Ophrys abeille (O. apifera)
  • Orchis bouc (Himantoglossum hircinum)

Ces deux espèces protégées côtoient également la gentiane amère et la scabieuse, montrant que le sol appauvri et la chaleur du schiste profitent à la flore méditerranéenne.

2. Terrils d’Hénin-Beaumont (n°205 et n°206) : oiseaux d’envergure et microfaune

À Hénin-Beaumont, le duo formé par les terrils de la fosse Barrois (classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, source : UNESCO) fait figure d'emblème local. Depuis les années 2000, ces terrils sont suivis par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et accueillent :

  • Piverts et pics verts, qui nichent dans les friches boisées
  • Faucons crécerelles, souvent vus en chasse autour des escarpements
  • Crapauds calamites (Bufo calamita), espèce patrimoniale profitant des flaques temporaires sommitale

Un suivi a recensé jusqu'à 68 espèces d’oiseaux différentes sur le site sur une même année (source : Observatoire BVM, 2021).

3. Terril Sainte-Henriette (Dourges) : du roncier aux reptiles

Celui-ci, audacieusement rectiligne, surplombe Dourges. Sa spécificité réside dans la présence de reptiles :

  • Couleuvre à collier (Natrix natrix) : absente des villages environnants, elle trouve sur le terril refuge, proies et chaleur pour s’épanouir.
  • Lézard des murailles : gagne du terrain sur les pentes abruptes, profitant des anfractuosités du schiste.

C’est aussi ici que la Société herpétologique du Nord mène plusieurs observations et inventaires chaque année.

4. Terril de la fosse 9-9bis (Oignies) : une reconquête forestière exemplaire

Inscrit au Réseau des Espaces Naturels Sensibles (ENS) du Pas-de-Calais, ce terril montre un exemple avancé de reforestation spontanée :

  • Plus de 40 espèces d’arbres et d’arbustes inventoriées par le Conservatoire botanique national de Bailleul.
  • Présence rare du Rhododendron hirsute — réchappé de plantations ornementales également devenu abri pour de nombreux insectes.

Au sol, la petite violette odorante et la Primevère officinale profitent de micro-climats boisés.

Espèces emblématiques : qui sont les nouveaux habitants ?

  • Faucon pèlerin : en 2010, le premier couple nicheur du Pas-de-Calais a été observé sur la tour du terril du Pinchonvalles à Avion — une première régionale insolite, signalée par la LPO.
  • Orchidées sauvages : au moins 12 espèces différentes identifiées entre Loos-en-Gohelle, Haillicourt et Hénin-Beaumont, dont la liste s’allonge chaque printemps (source : Conservatoire botanique national de Bailleul).
  • Crapaud calamite, Lézard des murailles, Hirondelle de fenêtre et Tarier pâtre : tous se retrouvent régulièrement cités dans les relevés.
  • Flore des pelouses sèches : le Stipa pennata (cheveu d’ange), caractéristique des steppes, a été découvert sur le terril 94, un retour inattendu pour une plante disparue localement depuis plus d’un siècle.

Connaître et préserver : initiatives et gestion des terrils

Il y a trente ans, beaucoup voyaient dans les terrils des friches à urbaniser ou à boiser systématiquement. Aujourd’hui, la loi (notamment la Trame Verte et Bleue) et le label UNESCO incitent au contraire à leur préservation en tant que réservoirs de biodiversité.

  • Programme LIFE+ Biodiversité : plusieurs chantiers de restauration et de suivi scientifique coordonnés, avec coupe sélective, lutte contre les espèces invasives (notamment la Renouée du Japon) et pose de nichoirs.
  • Chantiers nature participatifs : organisés par le CPIE Chaîne des Terrils, impliquant habitants et scolaires.
  • Suivis ornithologiques pilotés par la LPO Nord et Nord Nature.

Sur certains sites comme Hénin-Beaumont et Oignies, la fréquentation grand public est conciliée avec une gestion différenciée (zones refuges, sentiers balisés, panneaux de sensibilisation).

Petites histoires naturalistes du bassin minier

  • En 2015, une ortie blanche géante, jamais signalée jusque-là dans la région, a été retrouvée à l’ombre d’un talus sur la fosse Sainte-Henriette. Son origine reste mystérieuse…
  • Plusieurs libellules rares, telles que la Cordulie splendide, sont régulièrement observées sur les mares temporaires des terrils, profitant d’un habitat absent ailleurs.
  • La migration de crapauds calamites par centaines sur le terril de Dourges suscite annuellement l’organisation d’un passage protégé temporaire — bloquant une piste, le temps des amours printaniers. (source : Nord Nature, 2022)

Le futur : laboratoires vivants du territoire

Valoriser la diversité des terrils n’est ni figer ni domestiquer leurs dynamiques. À contre-courant des grandes opérations de reboisement d’hier, les gestionnaires privilégient la diversité des milieux : boisements, clairières, mares, pentes arides — autant de niches pour accueillir la faune et la flore locales, mais aussi des espèces méditerranéennes ou montagnardes poussées là par le microclimat.

Aujourd’hui, les terrils ne sont plus seulement des vestiges du passé industriel, ils s’affirment comme de véritables laboratoires de la biodiversité en mouvement. Pour qui sait s’arrêter en bord de sentier, ils offrent un concentré d’évolution naturelle à ciel ouvert, à deux pas de la ville.

Les promeneurs qui s’aventurent hors des sentiers battus donnent chaque jour un sens nouveau à ces montagnes noires. Si chaque terril a des trésors à révéler, leur avenir dépend aussi d’un engagement collectif : celui de regarder et de préserver, à notre échelle, l’extraordinaire vivant du quotidien.

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