Rencontrer les reptiles protégés : trésors discrets de nos milieux naturels

15/07/2025

Des habitants discrets, mais essentiels

Les reptiles ont longtemps souffert d’une réputation mystérieuse, voire inquiétante, qui les a faits oublier de bien des cartes naturalistes. Pourtant, leurs populations sont de précieux indicateurs de la qualité de nos milieux. Dans le Pas-de-Calais, et plus largement dans les secteurs naturels d’Hénin-Carvin, la présence de reptiles protégés révèle à la fois la diversité locale et les efforts de conservation menés ces dernières décennies. Ces rencontres, intimes et souvent éphémères, sont accessibles à qui sait regarder sous la bonne pierre ou longer les talus au bon moment.

Mais qui sont ces reptiles protégés ? Où vivent-ils, et pourquoi sont-ils devenus si rares ? Quelles précautions prendre pour espérer les observer sur le terrain, et quels gestes pour les préserver ? Voici un panorama de ces espèces fascinantes et emblématiques de notre patrimoine local.

Panorama des reptiles protégés observables localement

Sur les 11 espèces de reptiles recensées dans les Hauts-de-France, 7 sont mentionnées dans le Nord et le Pas-de-Calais (Atlas régional des Amphibiens et Reptiles – SHF, 2022). Toutes bénéficient d’une protection intégrale au niveau national (Arrêté du 19 novembre 2007). En voici les principaux représentants autour d’Hénin-Carvin :

Lézards de la région : agiles et méconnus

  • Lézard vivipare (Zootoca vivipara) Discret, il préfère les zones humides, landes tourbeuses, et prairies fraîches. Il donne naissance à des petits entièrement formés (viviparité), ce qui lui permet de coloniser des milieux frais où la ponte serait risquée. Localement, on le rencontre sur le terril d’Estevelles ou dans les franges humides des marais de la Scarpe amont.
  • Lézard des murailles (Podarcis muralis) C’est le lézard typique des vieux murs, talus, et friches urbaines. Très thermophile, il bénéficie parfois des expositions solaires sur terrils ou remblais. Il a été confirmé sur certains sites urbains en marge de Hénin-Beaumont, et sur des infrastructures désaffectées.
  • Lézard agile (Lacerta agilis) Beaucoup plus exigeant, il affectionne les milieux ouverts et herbacés, lisières sableuses, anciennes sablières et pelouses sèches – habitats qui se raréfient fortement dans la région. Quelques stations subsistent autour du Parc d’Ohlain, et sporadiquement sur d’anciens bassins houillers réhabilités.

Les serpents : entre crainte et fascination

  • Couleuvre à collier (Natrix helvetica, anciennement N. natrix) Le serpent le plus commun du territoire, souvent lié aux zones humides (canaux, bassins, rivières lentes, anciens bras morts). Sa livrée grise à verte, marquée par un collier blanc jaunâtre derrière la tête, la rend facilement reconnaissable. Plutôt fidèle aux berges de la Scarpe et de la Deûle, mais observée également près de la Souchez ou dans les marais proches.
  • Couleuvre vipérine (Natrix maura) Son apparition a été longtemps sujette à caution dans le Nord, où elle reste sporadique et très localisée. Mais quelques observations récentes la signalent sur des points d’eaux stagnants dans les secteurs à influence océanique, profitant de milieux semi-naturels réhabilités (FF Nature).
  • Vipère péliade (Vipera berus) Seule vipère authentique du Nord de la France, elle préfère les landes à bruyères, ourlets forestiers et zones de tourbière. Devenue extrêmement rare (quelques sites signalés dans l’Avesnois ou sur le littoral picard), elle ne subsiste aujourd’hui, à l’échelle du Pas-de-Calais, que sur quelques stations relictuelles, souvent menacées par l’enfrichement ou la fréquentation humaine.

Un chélonien remarquable : la cistude d’Europe

  • Cistude d’Europe (Emys orbicularis) Cette tortue d’eau douce indigène avait disparu de la quasi-totalité du nord de la France, victime du drainage et de l’artificialisation des marais. Cependant, des réintroductions et la progression de populations résiduelles, notamment dans la Somme, la rendent de nouveau observable, quoique rarement, dans les plans d’eau connectés aux grandes vallées humides régionales (voir MRES Hauts-de-France).

Pourquoi ces reptiles sont-ils protégés ?

La plupart de ces espèces subissent le même cocktail de menaces :

  • Destruction ou fragmentation de leurs habitats (urbanisation, drainage, disparition des mares et haies, reboisement inadapté)
  • Pollutions (pesticides, hydrocarbures, eaux usées, etc.)
  • Circulation routière (écrasement sur routes et chemins)
  • Récolte et destruction directe (crainte injustifiée, collection d’animaux, tonte mal gérée…)

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 40 ans, la France a vu disparaître localement jusqu’à 80 % de ses anciennes populations de lézards agiles ou de vipère péliade (UICN France). Cette raréfaction a motivé une protection nationale dès 1976, renforcée depuis : il est formellement interdit de détruire, capturer ou transporter un reptile protégé, ainsi que d’endommager ses habitats.

Des habitats à préserver, pour des espèces emblématiques de la transition

Observer un reptile dans la région, c’est apercevoir la mémoire d’un terroir : ces espèces subsistent dans des milieux aujourd’hui marginaux mais autrefois ordinaires.

  • Les terrils et coteaux ensoleillés Les lézards des murailles y trouvent des pierriers et la chaleur nécessaire, tandis que les couleuvres utilisent les friches pour leurs chasses printanières.
  • Marais, fossés, bras morts Refuges pour cistude, couleuvres, et lézard vivipare, ces habitats sont essen­tiels à leur cycle de vie.
  • Landes ouvertes, prairies maigres, sablières abandonnées Derniers refuges du lézard agile et de la vipère péliade, ces milieux sont d’autant plus précieux qu’ils sont menacés par la fermeture des paysages.

Nombre de ces secteurs naturels sont la cible d’actions de gestion : limitation de l’embuissonnement, creusement de mares, création de corridors écologiques ou limitation de la tonte. L’Observatoire régional de la Biodiversité recense notamment les sites prioritaires (ORB Hauts-de-France).

Comment observer les reptiles sans les déranger ?

L’observation de reptiles demande de la patience, du silence, et le respect de certaines règles pour ne pas nuire à ces espèces fragiles.

  1. Privilégier le matin, quand les lézards et couleuvres viennent se chauffer au soleil après la fraîcheur de la nuit.
  2. Rester sur les sentiers : éviter de piétiner la végétation ou de retourner systématiquement toutes les pierres ou branchages.
  3. Observer à distance : une paire de jumelles permet souvent de belles surprises.
  4. Ne jamais capturer ni déplacer un animal : leur manipulation stresse et met en péril leur sécurité et leur cycle vital.
  5. Signalement des observations : transmettez vos découvertes (avec photo, lieu précis, date), par exemple via le portail de collecte Faune-France ou auprès d’associations naturalistes (LPO, SHF…).

À noter : la plupart des serpents locaux sont inoffensifs (aucune couleuvre, même grande, n’est venimeuse). Si la vipère péliade subsiste, c’est généralement dans des sites inaccessibles ou peu fréquentés, et ses morsures demeurent tout à fait exceptionnelles dans le Nord de la France (toujours solliciter un naturaliste pour une identification précise).

Petites histoires & anecdotes naturalistes locales

  • Terrils, nouveaux refuges : Après l’arrêt du charbon, plusieurs terrils ont vu revenir lézards et couleuvres. Ainsi, sur le terril du Téléphérique à Loos-en-Gohelle, des suivis menés par le CPIE Chaîne des Terrils ont révélé la présence de populations de lézard vivipare et des pontes de couleuvre à collier ! Les fissures, substrats chauds et la diversité de micro-habitats ont favorisé ce retour inattendu.
  • L’anecdote de la couleuvre nageuse : En 2021, sur le canal de la Deûle à Courrières, une couleuvre à collier, repérée en pleine traversée, a été suivie sur plus de 50 mètres à la nage. Encore une preuve que ces reptiles sont d’excellents nageurs, presque souvent confondus avec des anguilles par les promeneurs.
  • Légendes locales et pédagogie : Sur nombre de terrils, des sorties nature organisées par les associations locales contribuent à restaurer l’image de ces espèces longtemps craintes. En 2022, une classe de collège d’Hénin-Beaumont a pu observer trois jeunes lézards sur un pierrier, à quelques mètres du chemin, réconciliant ainsi naturel urbain et biodiversité.

Pourquoi leur présence est-elle un signe de transition écologique ?

Récolter des indices de reptiles protégés, c’est mesurer la vitalité de nos milieux. Leur retour ou leur maintien signale la réussite de corridors écologiques et de mesures agro-écologiques ; leur disparition trahit au contraire des ruptures d’équilibres. Ainsi, la recolonisation de plans d’eau temporaires par la cistude, ou le retour du lézard des murailles sur des friches gérées, témoignent des efforts collectifs (élus, associations, citoyens) pour changer le destin d’un territoire.

L’invitation est double : découvrir les reptiles protégés dans leur diversité, et s’en faire Alliés, que l’on soit habitant, élu ou promeneur régulier, pour préserver ces connectivités vivantes.

Ressources pour aller plus loin

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