Dans les coulisses du suivi des espèces protégées à Hénin-Carvin

18/07/2025

Pourquoi recenser et suivre les espèces protégées ?

Longtemps, connaître la biodiversité locale s’est apparenté à une passion réservée à quelques spécialistes. Pourtant, le recensement et le suivi des espèces protégées, de la vipère péliade à l’orchidée bouc, est bien plus qu’un loisir d’initiés. C’est une nécessité à l’heure où l’érosion de la biodiversité devient l’un des enjeux majeurs du siècle, y compris sur le territoire d’Hénin-Carvin et dans tout le Pas-de-Calais.

Protéger une espèce sans la connaître relève du pari hasardeux. Collecter et suivre les données permet :

  • De cibler où porter les efforts de préservation sur le terrain
  • D’alerter lorsqu’une population décline ou s’étend
  • De répondre à des obligations légales, comme les Directives Habitats et Oiseaux au niveau européen (source : Ministère de la Transition Ecologique).
  • D'alimenter les projets d’aménagement de la région, en évitant les conflits entre développement et biodiversité

Quelles espèces faire entrer dans le radar local ?

Toutes les espèces n’ont pas le même statut. Certaines sont strictement protégées par la loi (ex : droit français – articles L411 du Code de l’environnement), d’autres bénéficient d’un suivi régional ou communal. Voici quelques catégories concernées :

  • Vertébrés : amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères
  • Flore patrimoniale : orchidées, Sabline des montagnes, etc.
  • Espèces d’intérêt européen : triton crêté, chauves-souris, pipit farlouse…
  • Invertébrés remarquables : azuré des paluds, sphinx à tête de mort…

En France, environ 1 600 espèces animales et 600 espèces végétales sont protégées sur tout ou partie du territoire national (source : OFB - Office Français de la Biodiversité). Au niveau régional, la liste rouge du Pas-de-Calais identifie plus de 70 espèces animales en danger critique, dont certaines présentes dans le SIPS Hénin-Carvin.

Les acteurs du recensement : du naturaliste au citoyen

La collecte d’informations sur les espèces protégées se construit à plusieurs mains, à partir de compétences et d’horizons variés :

  • Associations naturalistes : tels que le Groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas-de-Calais (GON), Eden62, CPIE Chaîne des Terrils
  • Acteurs institutionnels : DREAL, Office français de la biodiversité, Métropole Européenne de Lille, Communauté d’agglo Hénin-Carvin via ses agents
  • Collectivités territoriales qui délèguent parfois des suivis à des experts
  • Bureaux d’étude chargés d’instruire des dossiers d’aménagement, de carrières ou de projets industriels
  • Habitants, écoles et bénévoles via la science participative

Au fil des années, la place de l’amateur s’est renforcée : aujourd’hui, la moitié des données régionales sur les oiseaux provient de suivis participatifs ou d’observations citoyennes, transmises via Faune-France ou INPN espèces (source : Muséum national d’Histoire naturelle).

Les grandes étapes d’un recensement local

Définir le périmètre et les objectifs

Chaque démarche implique de cerner le secteur à couvrir (par exemple, les terrils, zones humides, parcs urbains…) et les groupes d’espèces à privilégier. Certains suivis visent les “espèces indicatrices” de l’état de santé d’un milieu, d’autres ciblent des espèces “phares” menacées ou emblématiques.

Standardiser les méthodes d’inventaire

La rigueur impose d’employer des protocoles éprouvés, pour rendre les données comparables dans le temps et l’espace :

  • Points d’écoute pour les oiseaux : des observateurs restent immobiles et consignent toutes les espèces vues ou entendues pendant un laps de temps déterminé
  • Transepts/pièges photo pour les mammifères ou les reptiles
  • Placettes quadrillées pour la flore
  • Surveillance nocturne pour les amphibiens

Des séries de visites sont programmées selon le cycle de vie des espèces. Par exemple, le crapaud calamite n’est quasi visible que lors de quelques nuits printanières après la pluie.

Remonter les données et les valider

À l’ère numérique, fini les carnets papier voués à l’oubli : la donnée brute est saisie sur des applications comme OBSenMER, NaturaList, ou Faune-PACA, puis vérifiée par une équipe de coordinateurs.

Un comité (souvent associatif ou expert, selon les régions) vérifie les signalements inhabituels. Chaque donnée de triton ponctué ou d’orchis incarnat passe devant un œil exercé pour éviter les erreurs.

Centraliser et partager les résultats

Les données intègrent progressivement des bases nationales (INPN – Inventaire National du Patrimoine Naturel), régionale (SIGOGN) ou locale via certains portails d’agglo. Cet archivage collectif permet, par effet boule de neige, d’alimenter :

  • Des cartes de répartition actuelles et historiques
  • Des outils d’aide à la décision pour urbanistes, élus et gestionnaires
  • Des “alertes” lorsqu’une population disparaît ou réapparaît

Technologies et outils modernes au service du terrain

Les nouvelles technologies transforment la collecte et le suivi. Si observer à l’œil nu reste précieux, le recours aux innovations se démocratise, même à l’échelle du bassin minier :

  • Capteurs sonores passifs pour les chauves-souris ou grenouilles : ils enregistrent des ultrasons ou chants, analysés ensuite sur ordinateur (voir EcoObs, Arbimon…)
  • Pièges photographiques ou vidéo déclenchés au passage d’un animal, qui permettent de suivre des espèces discrètes (renards, amphibiens, martre d’Europe…)
  • Géolocalisation par GPS (notamment sur les cigognes blanches relâchées sur la Deûle ou les buses variables migratrices)
  • Analyse d’ADN environnemental () : on prélève de l’eau ou du sol, puis on détecte des fragments d’ADN, permettant de révéler la présence d’espèces quasi invisibles sans même les voir (source : Science & Avenir)
  • Drones et images satellites, pour cartographier les habitats et repérer des trouées favorables (source : Observatoire des forêts françaises, IGN)

En 2022, lors d'une opération coordonnée sur la préservation du triton crêté, la détection d'ADN environnemental dans trois mares du territoire a permis de découvrir la présence de l’espèce alors que les comptages visuels étaient restés vains (source : CPIE Chaîne des Terrils, rapport annuel 2022).

Anecdotes locales : le quotidien du suivi sur un territoire urbanisé

À Hénin-Carvin, le terrain est à la fois sauvage et modelé par l'humain. L’ancienne friche de Dourges et les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle offrent deux exemples de suivi contrastés :

  • En 2019, une population de lézards vivipares, espèce protégée d’intérêt communautaire, a été détectée sur l’un des terrils via des transects herpétologiques. Ceci a permis de modifier un projet d’aménagement de sentier cyclable pour le dévier de leur site de ponte.
  • Chaque printemps, le comptage participatif des crapauds calamites mobilise bénévoles, écoles et naturalistes amateurs pour sécuriser leur passage sur la route du Parc des Îles : le nombre de mâles chanteurs est utilisé comme indicateur de santé de la population.
  • En 2023, l’inventaire mené sur la flore des affleurements calcaires de Méricourt a permis d’actualiser la carte régionale de l’orchidée pyramidale, avec la découverte de 87 pieds alors que l’espèce était présumée disparue localement depuis 2005.

Dans le bassin minier, le contact régulier avec des passionnés locaux permet d’obtenir des retours d’observation précieux, qui viendront enrichir les bases de données nationales.

Quels usages pour ces données ? Focus sur les décisions locales

Les données issues des recensements et suivis locaux servent à orienter de nombreuses décisions et à garantir la prise en compte de la biodiversité sur notre territoire :

  • Au niveau des plans locaux d’urbanisme (PLU) : ajustement de zonages, préservation de corridors écologiques (ex : Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux)
  • Dans la gestion des espaces verts : choix de la fauche tardive quand des orchidées ou papillons protégés ont été repérés
  • Pendant les projets industriels : mise en œuvre de mesures compensatoires (création de mares temporaires pour les amphibiens)
  • En éducation : création de balades-nature, d’expositions ou d’ateliers scolaires à partir des résultats des suivis locaux

En 2021, les données de suivi ont notamment permis à la communauté d’agglo Hénin-Carvin d’identifier deux nouveaux sites à intégrer à la trame verte et bleue, garantissant ainsi la connectivité entre les milieux aquatiques et terrestres (source : Communauté d’Agglomération Hénin-Carvin).

L’avenir du suivi : une mobilisation croissante et de nouveaux défis

Chaque année, le nombre de suivis augmente, mais aussi la complexité : le changement climatique, l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes et la fragmentation des habitats imposent de nouvelles adaptations.

La clé : croiser rigueur scientifique, implication citoyenne et adaptation permanente des outils. Le succès du recensement local dépend de la capacité à fédérer habitants, élus, scolaires, agriculteurs et associations autour d’un même récit : celui d’un territoire où la biodiversité ne se protège pas toute seule.

Pour celles et ceux qui désirent s’investir, les portes sont grandes ouvertes. Qu’il s’agisse de signaler un hérisson dans son jardin, de participer à un week-end de comptage ou tout simplement d’être curieux du vivant autour de soi, chaque geste compte dans la grande aventure du recensement local.

Pour retrouver les contacts utiles et les protocoles ouverts à l’engagement citoyen : www.faune-france.org, ou, plus localement, la communauté d’agglomération ou auprès des associations naturalistes recensées.

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