Plantes discrètes et précieuses : trésors végétaux menacés autour d’Hénin-Carvin

13/07/2025

État des lieux : pourquoi parle-t-on de « rares » ou « menacées » ?

Les plantes « rares » désignent des espèces présentes en très faibles effectifs ou sur de faibles surfaces. On parle de « menacées » lorsqu’elles figurent sur les listes rouges régionales ou nationales établies selon leurs risques d’extinction (UICN France, 2023). Le secteur d’Hénin-Carvin, tiraillé entre milieux anthropisés et reliques naturelles, abrite plusieurs de ces espèces à valeur patrimoniale.

Terrils, prairies, rivages : des poches de vie singulières

Hénin-Carvin se distingue par la diversité de ses habitats, dont certains sont des refuges inattendus pour une flore en souffrance ailleurs :

  • Terrils végétalisés : vestiges de l’activité minière, ils accueillent une mosaïque unique de milieux secs et basiques, parfois assimilés à des « steppes calcaires ».
  • Prairies humides et fossés en plaine : lieux d’expression de plantes de milieux tourbeux, menacées par l’assèchement et l’agriculture intensive.
  • Étangs, mares, berges canalisées : poches humides abritant encore des hydrophytes devenues rares dans la région.

L’inventaire mené par le Conservatoire botanique national de Bailleul recense près de 800 espèces sur l’ensemble de la communauté d’agglomération^1. Parmi elles, plusieurs sont inscrites sur les listes rouges régionales.

Quelques espèces rares recensées aujourd’hui à Hénin-Carvin

À travers le temps, certaines espèces remarquables ont disparu localement, d’autres résistent encore. Ci-dessous, un focus sur six espèces jugées préoccupantes, dont quatre toujours présentes selon des suivis récents (CBN Bailleul, Atlas régional 2022 ; Observatoire de la Biodiversité du Pas-de-Calais).

  • Ophrys abeille (Ophrys apifera)
    • Orchidée discrète imitant l’insecte du même nom pour attirer ses pollinisateurs.
    • Repérée sur plusieurs terrils entre Hénin-Beaumont et Dourges.
    • En régression progressive à cause des fauches trop précoces et des remblais.
  • Linaire des sables (Linaria arenaria)
    • Petite annuelle pionnière, de floraison jaune, typique des terrains pauvres en nutriments.
    • Signalée encore sporadiquement sur les zones sablonneuses au pied des terrils.
    • Quasi inexistante dans le Pas-de-Calais, menacée à l’échelle nationale (source : Liste rouge de la flore vasculaire de France métropolitaine, UICN, 2019).
  • Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia)
    • Plante carnivore inféodée aux milieux acides et tourbeux, rare sur l’ensemble du nord de la France.
    • Recherchée sur certains secteurs humides de prairie ou mares exploitées anciennement, très possiblement éteinte localement (source : CBN Bailleul et INPN).
  • Sagittaire à feuilles sagittées (Sagittaria sagittifolia)
    • Hydrophyte à fleurs blanches, caractéristique des berges calmes et peu profondes.
    • Encore observée sur quelques canaux et mares à proximité de Rouvroy et Drocourt (données 2021, Atlas de la flore vasculaire du Nord-Pas-de-Calais), très sensible à la pollution et à la canalisation des cours d’eau.
  • Gentiane pneumonanthe (Gentiana pneumonanthe)
    • Relique d’anciennes landes humides à molinie, dépendante des sols pauvres et acides.
    • Absente aujourd’hui du territoire, mais mentionnée jusqu’aux années 1960-1970 près de Oignies (CBN Bailleul). Son retour passerait par une restauration ambitieuse de cortèges végétaux actuellement effacés.
  • Renoncule à feuilles d’ophioglosse (Ranunculus ophioglossifolius)
    • Plante de zones humides temporaires, très localisée en Hauts-de-France.
    • Signalée jusqu’au début des années 2000 dans les prairies de Courrières-Dourges, disparue ensuite faute de crues printanières naturelles (Observatoire de la Biodiversité, 2020).

Pourquoi tant de disparitions ? Pressions persistantes sur la flore locale

Plusieurs facteurs expliquent la raréfaction de ces espèces dans le secteur d’Hénin-Carvin :

  • Artificialisation et mitage urbain : Chaque année, près de 6 % du territoire de la CAHC (Communauté d’Agglomération Hénin-Carvin) est artificialisé selon le Schéma de Cohérence Territoriale 2021.
  • Assèchement des milieux humides : Les zones de bas-fond ont parfois perdu plus de 80 % de leur surface humide depuis 1950 (source : Atlas des zones humides du Pas-de-Calais, Agence de l’Eau Artois-Picardie, 2018).
  • Pollution des sols et des eaux : Les concentrations en nitrates et phosphates dans certains cours d’eau sont mesurées à plus de 30 mg/L (DREAL Hauts-de-France, 2023), favorisant l’eutrophisation et la disparition des plantes aquatiques.
  • Travaux d’aménagement et fauches : Les pratiques de gestion trop intensives, comme la tonte en pleine floraison ou le creusement de tranchées, mettent en danger les espèces les plus fragiles, notamment les orchidées.
  • Reforestation spontanée sur les terrils : Si la reconquête forestière favorise certaines espèces, elle fait disparaître des habitats pionniers ouverts nécessaires aux plantes rares de ces milieux.

Terrils : laboratoires de la diversité végétale inattendue

Les terrils, symboles hérités du bassin minier, font preuve d’une remarquable résilience écologique. Véritables îlots, ils concentrent jusqu’à dix fois plus d’espèces rares ou menacées qu’une prairie agricole standard du secteur (CBN Bailleul, inventaire 2019). Le terrils Sainte-Henriette à Hénin-Beaumont, par exemple, héberge à la saison favorable plus de 150 espèces végétales, dont l’Ophrys apifera et des graminées typiques de pelouses sèches.

Les associations locales, comme l’APPHIM (Association pour la Protection du Patrimoine Historique et Industriel Minier), accompagnent l’inventaire et la sensibilisation auprès du public scolaire, permettant de découvrir in situ la richesse et la fragilité de cet héritage vivant^2.

Pratiques agricoles, conservation, et dynamiques collectives

Depuis les années 2000, plusieurs démarches cherchent à concilier développement territorial et préservation des habitats remarquables :

  • Gestion différenciée sur les espaces verts publics : adoption de fauches tardives ou sélectives sur certains bas-côtés et friches, pour ménager la reproduction des plantes à cycle long, en partenariat avec le Conservatoire botanique et Eden 62.
  • Création de micro-réserves sur terril : comme à Noyelles-Godault, des surfaces de moins de 2 hectares sont soustraites à l’exploitation, favorisant le retour de la linaire ou de la petite oseille (source : Eden 62, rapport annuel 2022).
  • Sensibilisation et sciences participatives : sorties découvertes, recensements citoyens via l’application INPN Espèces, permettant d’actualiser les données et de mieux cibler les actions.

Face aux limites de la « naturalité » sur un territoire largement modifié par l’homme, la prise en compte de la flore patrimoniale dans les projets urbains ou agricoles reste déterminante. Le Plan Climat local intègre la cartographie des milieux menacés, mais l’accès effectif à la donnée naturaliste reste perfectible.

Observer, comprendre, transmettre : rôle des habitants et enjeux de demain

L’avenir de la flore rare à Hénin-Carvin dépend aussi du niveau de connaissance et de reconnaissance locale. Les signalements d’espèces insolites par des riverains de Montigny-en-Gohelle ou des enfants en sortie à la Maison de l’Environnement de Noyelles-Godault ont alimenté la découverte de stations relictuelles d’orchidées ou de plantes aquatiques ces 5 dernières années.

Réapprendre à regarder le « sauvage ordinaire » est une étape-clé pour stimuler la préservation de ces espèces. Selon la base de données du CBN Bailleul, 40 % des stations d’orchidées découvertes depuis 2020 l’ont été suite à une alerte citoyenne. Chacun, promeneur ou habitant, peut contribuer simplement en signalant une plante inconnue ou en rejoignant des sorties naturalistes.

  • Indicateurs à surveiller :
    • Nombre de stations de plantes rares réactualisé d’année en année
    • Niveau de connectivité entre habitats (anti-fragmentation)
    • Degré d’implication citoyenne dans les inventaires

Perspectives : vers une réconciliation entre ville, industrie et nature ?

La flore rare ou menacée à Hénin-Carvin n’est ni une relique figée, ni une fatalité vouée à la disparition. Le territoire incarne une mosaïque évolutive où l’attention portée aux détails – du brin d’orchidée sur un remblais, à la spirale d’un sagne sur une mare – peut changer le regard collectif.

Au croisement de la mémoire industrielle et des dynamiques écologiques nouvelles, les plantes rares offrent des leviers d’éducation, de participation citoyenne et de fierté locale. Leur survie est un indicateur discret, mais puissant, de notre capacité à penser des futurs urbains un peu plus compatibles avec la diversité du vivant.

Sources principales :

  • Conservatoire Botanique National de Bailleul : Atlas de la flore vasculaire du Nord-Pas-de-Calais, mise à jour 2022
  • INPN – Inventaire National du Patrimoine Naturel
  • UICN France – Liste rouge nationale, Flore vasculaire, 2019 & 2023
  • Agence de l’Eau Artois-Picardie, Atlas des zones humides du Pas-de-Calais, 2018
  • DREAL Hauts-de-France, rapports 2020-2023
  • Eden 62 – gestionnaire d’espaces naturels dans le Pas-de-Calais
  • APPHIM, recensements terrains et animations

Une balade attentive, un carnet de notes ou une photo partagée sur une plateforme collaborative peuvent suffire à révéler les délicats survivants d’un territoire, qui même transformé, n’a pas dit son dernier mot.

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