La nature végétale sous nos yeux : révélations sur les joyaux botaniques d’Hénin-Carvin

30/09/2025

Des terrils, refuges pour orchidées et pionnières

Les terrils, silhouettes familières du paysage post-industriel, sont devenus des havres de diversité végétale. Leur sol, souvent acide, sec et pauvre en nutriments, a permis l’installation de plantes spécialement adaptées – et parfois protégées à l’échelle nationale ou européenne.

  • Orchidées sauvages : On recense pas moins de 14 espèces de dactylorhizes (source : Conservatoire Botanique National de Bailleul, 2021) sur les terrils majeurs du bassin minier, dont le populaire Dactylorhiza fuchsii mais aussi des raretés : Ophrys apifera (l’orchis abeille) ou encore l’orchis bouffon (), légalement protégée dans le Nord-Pas-de-Calais.
  • Espèces pionnières : Le brometum erecti, association de graminées et de plantes à fleurs telles que ou , tapisse les pentes exposées. Ces communautés végétales typiques d’Europe centrale font la particularité de certains terrils, où elles prospèrent sur les gravats.
  • Lichens et mousses : Ces micro-végétaux sont les premiers à coloniser les substrats noirs, jouant un rôle essentiel dans la fixation du sol et la création de conditions propices à d’autres espèces.

Le saviez-vous ? Après à peine 30 ans de « repos », certains terrils abritent un nombre d’espèces végétales > 300, soit autant qu’une vieille forêt de feuillus de même superficie (source : étude INPN, 2018).

Sols calcaires, pelouses et anciennes prairies : des vestiges précieux

Si le relief minier est bien documenté, n’oublions pas les prairies relictuelles et pelouses calcaires, témoins de paysages agricoles anciens ou de pratiques pastorales oubliées. Ces zones sont aujourd’hui des réservoirs génétiques et le dernier refuge pour certaines plantes menacées en plaine.

  • Le (Polygale commun) : Cette petite plante bleue, emblème des pelouses sèches du nord, n’a survécu que dans quelques réserves comme le marais de Wingles ou les pelouses des flancs de terril.
  • Les (scabieuses colombaires) et Origanum vulgare (origan sauvage) : témoignent d’une flore typique des zones plus méridionales, favorisée ici par le microclimat chaud des sols pierreux et en pente.
  • L’héritage pastoral : Les prairies fauchées et pâturées abritent une flore diversifiée, des (lotier corniculé) aux ombellifères comme le Silaum silaus (une rareté nationale pour les zones humides).

Les pelouses calcicoles, quasi disparues ailleurs dans la région, comptent ici plus de 80 espèces différentes de plantes à fleurs sur moins d’un hectare (Source : Atlas de la Flore des Hauts-de-France, 2017), dont 8 classées sur la liste rouge régionale.

Milieux aquatiques : des plantes discrètes, souvent menacées

Les étangs, marais et bras morts de la Deûle et de la Souchez abritent une flore aquatique d’une rare richesse. Si certains bassins datent de l’époque minière, la reconquête botanique a été spectaculaire.

  • Potamots variés : Du (potamot nageant) au (potamot coloré, espèce protégée), les étangs de la zone sont précieux pour la conservation de cette famille.
  • Les characées : Algues macroscopiques souvent confondues avec des plantes, elles servent de bio-indicateur de la qualité de l’eau. Leur abondance sur certains sites révèle un retour progressif à des eaux claires et « jeunes ».
  • Hydrocotyles et flûtesauves : , menacée dans le nord de la France, survit dans quelques fossés ouverts et roselières.

Statistique marquante : sur 200 espèces végétales répertoriées dans le bassin de la Souchez depuis 2000, près de 20 % sont classées comme patrimoniales ou en déclin selon la Liste Rouge Régionale (source : DREAL Hauts-de-France, 2019).

Influence du microclimat et des expositions

L’hétérogénéité du terrain joue ici un rôle crucial. Les anciennes exploitations de charbon créent des reliefs variés : pentes sud brûlantes, plateaux arides mais aussi ombrières fraîches et vallons humides. Cela développe des microclimats permettant la cohabitation d’espèces parfois contradictoires au regard de leur aire de répartition naturelle.

  • Effet “îlot de chaleur” : Les versants exposés au sud voient s’installer tôt des espèces thermophiles, comme le (thym serpolet) ou (fer à cheval), habituellement inféodées à la Champagne ou aux Causses.
  • Refuges pour plantes boréales : Les pentes nord et fonds de vallons restent frais plus longtemps, permettant la présence de (violette des chiens) et de fougères telles (fougère femelle).
  • Hivernales précoces : Certaines espèces à floraison très précoce (ex. ) trouvent sur ces sites des niches où la température en surface ne chute jamais autant qu’à l’air libre.

Ce contraste, unique à la région, permet l’observation de 2 à 3 fois plus d’espèces végétales par km² autour des grands sites, comparativement à la plaine agricole voisine (source : CBN Bailleul, synthèse 2022).

Niches insoupçonnées : fougères, arbustes, floraisons éphémères

Jamais monotones, les sites remarquables d’Hénin-Carvin révèlent leurs surprises à qui sait prendre le temps d’observer – ou d’accompagner un botaniste local lors d’un inventaire.

  • Rencontres rares : Outre les orchidées, des espèces peu courantes comme (capillaire des murailles) s’invitent dans les fissures artificielles des remblais ou sur les vieux murs, témoignant de l’histoire humaine du site.
  • Arbustes pionniers : Cornouillers sanguins (), églantiers et prunelliers colonisent rapidement les marges, préparant le terrain au retour futur de la forêt légère et transmisant la biodiversité génétique des haies bocagères anciennes.
  • Floraisons express : Certaines rosacées ou papilionacées ne fleurissent que quelques jours en mai-juin, profitant des conditions uniques du substrat (pauvreté, chaleur, absence de compétition).

Quand la flore raconte le passage de l’homme

Ces paysages, façonnés par l’industrie puis la reconquête par la nature, portent les traces de leur histoire dans leur flore :

  • Plantes rudérales et exotiques : Parfois vues comme envahissantes mais aussi précieuses pour comprendre la mobilité des espèces, elles s'installent dans les interstices : ou racontent une mondialisation des échanges par le rail et le charbon.
  • Espaces en reconquête : Là où la végétation pionnière s’installe, elle entraîne une succession rapide : chaque année, de nouvelles espèces apparaissent, tandis que d’autres reculent – illustrant les dynamiques de la biodiversité temporaire.

Ce patrimoine végétal n’est donc pas figé. Il est le miroir de la résilience d’un terroir, capable de renaitre après des décennies de bouleversements.

Mieux voir pour mieux protéger : pistes pour curieux et passionnés

Comprendre la botanie locale, c’est faire un pas vers sa préservation. Plusieurs associations et équipes scientifiques (notamment le CBN de Bailleul et la SHNA) organisent régulièrement des sorties botaniques, inventaires participatifs et publications accessibles aux amateurs.

  • Applications mobiles : Outils comme PlantNet ou Flora Incognita peuvent reconnaître sur le terrain espèces banales ou exceptionnelles, accompagnant l’observation et la transmission.
  • Herbiers vivants : Le Jardin des Plantes de Lille et certains parcs du territoire proposent de découvrir en culture des espèces locales menacées ou protégées.
  • Suivi citoyen : La participation au suivi de la flore via Vigie-Flore (MNHN, Tela Botanica) enrichit la connaissance partagée du territoire.

Ouvrir les yeux sur un territoire vivant

Chaque site remarquable d’Hénin-Carvin tisse ainsi sa propre histoire botanique, à la croisée de l’industrie, du temps et des aléas climatiques. Qu’il s’agisse des rebelles orchidées des terrils, des nénuphars discrets des mares, ou des pelouses fleuries vestiges d’un autre âge, la nature locale offre mille occasions de s’émerveiller. Observer ces variétés, c’est aussi prendre part, à sa mesure, à la grande conversation collective sur la préservation des richesses naturelles. Peut-être la plus belle façon, à l’échelle de notre territoire, de renouer avec l’essentiel.

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