À la rencontre des micro-habitats urbains : le vivant caché de nos espaces publics

22/08/2025

Définir le micro-habitat urbain : le petit monde à grande valeur écologique

Un micro-habitat, c’est un abri, une cache, un support de vie temporaire ou durable pour le vivant non-humain, dont la taille ne dépasse parfois guère celle d’une brique. Contrairement à une « zone naturelle » entière, il s’agit ici de portions restreintes : anfractuosités, bords oubliés, coins humides de voirie, bois morts ou vieux murs. En ville, la rareté de grands espaces pousse une foule d’organismes à miser sur le moindre interstice.

  • Une étude menée à Paris (Muséum national d’Histoire naturelle, 2021) a recensé plus de 1000 micro-habitats différents dans l’espace public, dont la moitié dans des zones considérées « faiblement végétalisées ».
  • Près de 8 000 espèces différentes d’insectes, d’oiseaux, de plantes et de champignons y trouvent gîte ou couvert, parfois pour une seule phase de leur cycle de vie (source : INPN / Observatoire de la biodiversité urbaine, 2022).

Sans micro-habitats, toute une part de la biodiversité urbaine s’effilocherait, emportant ses régulateurs de ravageurs, ses pollinisateurs et ses acteurs du recyclage biologique.

Petits refuges végétaux : prairies urbaines, pieds d’arbres et herbes de trottoir

De l’herbe dans le béton : viviers d’insectes et de graines sauvages

Les prairies de bords de route, placettes d’herbes folles ou pieds d’arbres fleurissent timidement dans une ville traditionnellement allergique à la « mauvaise herbe » : or, un seul mètre carré de pelouse haute ou non fauchée peut héberger plus de 40 espèces de plantes dans nos régions, dont trèfle, pissenlit, plantain, quelques orchidées et autres « simples » (étude Plante & Cité, 2019).

  • Spécificité locale : sur certains anciens terrils et accotements d’Hénin-Carvin, la floraison printanière d’orchidées sauvages (notamment l’orchis bouc) témoigne du rôle de refuges de ces espaces délaissés.
  • Les pieds d’arbres bordés d’orties nourrissent les chenilles de plus de 6 espèces de papillons recensés par le Groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas-de-Calais.

Les herbes de trottoir, si décriées, servent quant à elles d’abri contre le piétinement, de sources alimentaires pour coléoptères, de couveuses pour les œufs de sauterelles et d’escargots. Sur moins de 10 cm de large, ce microcosme alimente aussi la dissémination des graines par le vent ou les passants.

Les massifs et talus plantés

Bénéficiant d’un arrosage régulier et de substrats peu perturbés, les parterres communaux accueillent souvent des espèces discrètes : lombrics, perce-oreilles, lézards des murailles. En périphérie des écoles ou sur les ronds-points, on peut parfois identifier plus de 120 vers de terre au mètre carré (rapport de l’INRA, 2018), jouant un rôle clé dans l’aération et la fertilité du sol.

Refuges minéraux : murs, anfractuosités et pierres sèches

Murs anciens, failles et fissures : le règne caché des mousses et lichens

Les vieux murs en brique, décrépits ou envahis de lierre, sont des micro-habitats précieux. Voici ce qu’on y retrouve souvent :

  • Mousses et lichens : préférant l’ombre fraîche, ils accueillent acariens et collemboles, essentiels au recyclage de la matière organique (source : Fédération Française des Sociétés de Sciences Naturelles).
  • Fissures profondes : lieux de ponte pour araignées ou fourmis, abris temporaires pour certains gastéropodes en période sèche.
  • Biodiversité verticale : chaque strate d’un mur (base, hauteur, sommet) propose des conditions de microclimat distinctes, favorisant une mosaïque d’espèces.

Même les escaliers en béton de parcs ou d’immeubles voient croître du polypode, et recèlent, aux angles abrités, des fourmilières parfois anciennes de plusieurs années.

Pierres sèches et mobilier urbain

Rares mais significatifs, les petits murs de pierres sèches employés comme bordures ou murets de square servent :

  • D’abris thermiques à la pluie, propices au repos des orvets ou des lézards (chiffres : via le Conservatoire des Espaces Naturels du Nord-Pas-de-Calais).
  • D’hibernation pour 35% des espèces de coccinelles locales, qui y passent l’hiver sous les écorces ou entre les fentes.

Certains bancs et barrières en bois laissent également s’installer du mycélium de champignon et quelques larves de xylophages, ces insectes précieux dans la décomposition du bois mort.

Milieux humides urbains : flaques, fossés, bassins de rétention

Flaques et trous d’eau temporaires

On les sonde rarement : de faibles creux où l’eau stagne après une pluie. Pourtant, une simple flaque de deux semaines peut suffire à l’éclosion de larves de moustiques, à la baignade de moineaux ou au point d’eau des abeilles.

  • On y enregistre la reproduction de limnées (petits escargots d’eau) ou de daphnies, base de la chaîne alimentaire pour nombre d’oiseaux urbains.
  • Plusieurs espèces d’amphibiens, comme le triton ponctué, effectuent leur métamorphose dans des fossés humides urbains (Source : Atlas des Amphibiens du Nord-Pas-de-Calais, 2017).

Bassins de rétention d’eau pluviale

Innovations datant de moins de vingt ans dans la région, ils sont conçus avant tout pour gérer les eaux de ruissellement lors d’orages. Mais ils deviennent refuges pour grenouilles, libellules, plantes hélophytes et oiseaux. D’après le Cerema, un bassin d’une centaine de mètres carrés peut abriter jusqu’à 30 espèces végétales et autant d’espèces animales (hors microfaune du sol).

Habitat sur structure : nichoirs, hôtels à insectes et supports installés

Actions volontaires et micro-faune ciblée

  • Un nichoir à mésange charbonnière, bien placé, accueille en moyenne 8 à 12 nichées par décennie selon la LPO.
  • Les panneaux d'hôtel à insectes installés dans des parcs scolaires voient passer de 50 à 400 abeilles solitaires par saison, renforçant la pollinisation des plantes du secteur.
  • Les tas de bois laissés en lisière, même sur 1 m², hébergent carabes, cloportes, staphylins et, à l’automne, ermites ou chauves-souris profitent de cavités protégées contre le gel.

L’intérêt grandissant de certaines communes du Nord pour la pose de gîtes à chauves-souris (source : Programme « Chiroptères et Territoires », Nature en Ville, 2020) offre une nouvelle gamme de micro-habitats aériens, nécessitant peu d’espace mais une installation minutieuse.

Street art nature et mobilier recyclé : inventivité urbaine

Les bouches d’aération inutilisées, anciennes boîtes aux lettres transformées en abri de coccinelles, ou encore vieux pneus utilisés comme jardinières de pieds d’arbres : la créativité locale contribue, souvent sans le savoir, à la formation de micro-habitats adaptés à la faune urbaine.

Le rôle clé des micro-habitats dans la résilience urbaine

Au-delà de la simple curiosité, la présence de micro-habitats structure la capacité de la ville à résister aux crises écologiques. Faute de s’en soucier, la perte de ces refuges banalise non seulement nos paysages : elle amplifie aussi le phénomène d’îlots de chaleur, l’érosion des sols, la diminution des pollinisateurs et, à terme, fragilise notre qualité de vie urbaine.

  • La trame verte et bleue résiliente d’une métropole repose sur l’interconnexion de ces petites poches vitales (Agence française pour la biodiversité, 2019).
  • Plus les types de micro-habitats sont variés, plus la diversité des espèces présentes sera élevée et apte à répondre à des bouleversements momentanés (sécheresse, vague de froid, pollution accidentelle).

À Hénin-Carvin, cartographier les talus, recenser les pisé des aires de jeux, suivre l’évolution des bords d’école, permettrait d’identifier les points forts à préserver, les « corridors de vie » à ne pas tondre au cordeau, et surtout, d’éveiller de nouvelles vocations d’observateurs chez les habitants.

Aller plus loin : repérer, préserver, sensibiliser

  • Observer : une loupe et un carnet suffisent pour recenser les micro-habitats dans un quartier ou un bourg ; chaque balade révèle sa richesse cachée.
  • Préserver : adopter une fauche tardive, laisser les feuilles mortes en hiver, sauver un vieux mur, installer des petits hôtels à insectes et refuges à hérisson.
  • Transmettre : ateliers nature, programmes éducatifs, sorties avec le CPIE ou la LPO locale, photographies partagées lors des événements municipaux… Les manières de valoriser les micro-habitats ne manquent pas et ont prouvé leur efficacité (retour d’expérience du programme « Biodiv’ille », FNE Hauts-de-France, 2022).

Le véritable enjeu consiste à ne plus voir la ville comme une succession de « vastes surfaces mortes », mais comme un patchwork de mondes à explorer, à soutenir, à célébrer. Que l’on soit gestionnaire d’espace, promeneur, élu ou éducateur, chaque mètre carré de micro-habitat est une victoire du vivant en ville. Prendre le temps de le découvrir, c’est aussi s’armer collectivement pour la transition écologique à venir.

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