Agir contre les espèces invasives : protéger la biodiversité urbaine

26/08/2025

Espèces invasives : comprendre leur installation en ville

La notion d’«espèce exotique envahissante» désigne des organismes introduits, intentionnellement ou non, hors de leur aire d’origine – et dont la prolifération cause un impact négatif sur l’économie, la santé ou l’environnement (OFB – Espèces Exotiques Envahissantes). En France, on estime qu’un tiers des espèces de plantes vasculaires introduites sont devenues invasives (CBN de Bailleul). Les milieux urbains, bouleversés et souvent fragmentés, constituent, paradoxalement, des portes d’entrée privilégiées :

  • Disturbances fréquentes (“troubles” du sol) : chantiers, terrassements, transports de terres créent des espaces « ouverts » propices à l’installation rapide d’espèces colonisatrices.
  • Echanges et densité humaine : le commerce horticole, les déplacements de véhicules ou de matériaux accélèrent l’introduction de graines, insectes, petits vertébrés lointains.
  • Moindre compétition locale : dans des milieux appauvris ou perturbés, l’absence de régulateurs (prédateurs, maladies locales) laisse le champ libre à certaines espèces exotiques.

Prenons l’exemple de la renouée du Japon (Fallopia japonica), arrivée en Europe pour l’ornement, qui s’est vite approprié les friches, talus de voies ferrées et parcs urbains. D’autres, comme l'ailante glanduleux (Ailanthus altissima) ou la berce du Caucase, trouvent refuge sur nos trottoirs ou bords de routes. Sur le front animal, citons plus près de nous la perruche à collier (Psittacula krameri), qui niche à Lille, ou le rat musqué, aujourd’hui établi le long de la Deûle et des fossés urbains.

Impacts réels des invasives sur nos milieux urbains

Le diagnostic est souvent méconnu du grand public : quelles sont vraiment les conséquences de ces invasives dans nos quartiers, parcs et jardins collectifs ?

  • Perte de biodiversité locale : Certaines invasives forment des peuplements monospécifiques, empêchant la coexistence d’espèces locales. La renouée du Japon réduit de 60 à 80% la richesse floristique des zones qu’elle occupe (OFB).
  • Déstabilisation des chaines alimentaires : Moins de fleurs locales, moins d’insectes pollinisateurs adaptés, moins d’oiseaux granivores. Un exemple régional est la concurrence du moustique tigre, Aedes albopictus, qui modifie les assemblages d’insectes en ville (ANSES).
  • Risques pour la santé : Outre des allergies à l’ambroisie, la berce du Caucase provoque de graves brûlures. Le frelon asiatique (Vespa velutina), implanté autour de Lens et Hénin-Beaumont, inquiète par ses attaques sur les abeilles mais aussi ses piqûres parfois sévères pour l’homme.
  • Dommages économiques et infrastructures : Le coût engendré par les invasives sur la santé, l’agriculture et la gestion des espaces verts dépasse 320 millions d’euros chaque année en France (INPN).

Identifier les invasives près de chez soi : une vigilance locale

L’urbanisme du bassin minier et de Hénin-Carvin, ponctué de voies de chemin de fer, terrils, friches industrielles et jardins, offre des habitats rêvés pour les pionnières de l’invasion. Pour agir, il faut d’abord apprendre à repérer les principales espèces à surveiller. Quelques-unes, prioritaires :

  • Plantes : renouée du Japon, ailante, ambroisie, berce du Caucase, buddléia de David, solidage du Canada
  • Invertébrés : frelon asiatique, moustique tigre
  • Vertébrés : rat musqué, grenouille taureau, perruche à collier

Des guides régionaux illustrés existent, comme ceux publiés par le Conservatoire botanique national de Bailleul. Pour les agents communaux, bailleurs sociaux ou habitants, signaler une invasion débute par un repérage sur site et une alerte aux services concernés (OFB, mairie, CPIE…).

Mener des actions efficaces pour limiter l’implantation des invasives

Il n’existe pas de recette miracle, mais des combinaisons de mesures adaptées à l’échelle du quartier et selon le contexte. Locale, collective, l’action peut prendre plusieurs formes :

1. Prévention : éviter l’introduction et le relargage

  • Limiter la plantation d’exotiques à fort pouvoir invasif : Favoriser dans les espaces verts des essences locales et ne pas acheter des plantes à risque (buddléia, ailante, robinier).
  • Contrôler les déblais et matériaux végétaux : Éviter de transporter de la terre contaminée par fragments de renouée ou de plantes aquatiques invasives sur les chantiers. Une simple tige de renouée peut repartir après broyage ou mise en décharge, d’où le besoin d’un traitement spécifique (incinération, stockage étanche).
  • Sensibiliser au compostage raisonné : Des particuliers peu informés jettent parfois des taille de plantes exotiques dans la nature ou des composts mal gérés, contribuant à leur dissémination.

2. Surveillance et élimination précoce

  • Repérage rapide : Les « opérations coup de poing » menées début printemps ou juste après les grosses pluies permettent d’arracher de jeunes plants avant qu’ils ne couvrent de larges surfaces (notamment pour l’ambroisie et la renouée).
  • Partenariat avec les riverains, entreprises et associations : À Hénin-Carvin, de petites brigades citoyennes, agents territoriaux de la CAPH et gestionnaires de jardins partagés interviennent pour arracher ou faucher les invasives avant floraison.
  • Évacuation réglementée des déchets verts : Interdiction de jeter les débris d’invasives avec les déchets verts classiques. Il existe des points d’apport spécialisés gérés par la collectivité.

Des études récentes ont montré que les arrachages menés chaque année au même endroit réduisent fortement la vigueur et la biomasse d’une population d’espèces invasives après 3 à 5 ans (Société d’Écologie et de Territoire, SET 2021).

3. Solutions alternatives et gestion différenciée des espaces verts

  • Fauches précoces et répétées : La fauche manuelle, utilisée sur des surfaces réduites (cimetières, jardins scolaires), limite la remontée en graines des buddléias ou solidages, préservant au passage la diversité végétale des talus.
  • Paillage et plantation dense de couvres-sols locaux : Après arrachage, le recouvrement du sol par paillis épais (écorce, broyat), puis la plantation de graminées ou d’arbustes régionaux, ralentit la réinstallation des invasives.
  • Travail avec les scolaires et publics fragilisés : Ateliers de reconnaissance de plantes, balades botaniques et chantiers d’arrachage participent à la sensibilisation et à la reconquête de ces milieux.

Agir ensemble : quels acteurs mobiliser à l’échelle urbaine ?

Face à la rapidité de propagation des invasives, la mobilisation est avant tout collective. À Hénin-Carvin, mais aussi à Lens ou Arras, plusieurs acteurs sont impliqués :

  • Services municipaux et agglomérations : Surveillance, cartographie, formation des agents et gestion différenciée des bords de route et espaces verts, avec un accent sur le zéro-phyto.
  • Associations naturalistes et d’éducation à l’environnement : LPO, CPIE et écoles primaires s’investissent dans les campagnes de signalement ou de formation des habitants.
  • Propriétaires privés, entreprises, bailleurs sociaux : Prise en compte des risques dans la gestion de leurs parcelles, information des locataires et entretien régulier.
  • État et agences nationales (OFB, DREAL) : Encadrement réglementaire (liste noire, interdictions de vente/plantation), appui technique sur le terrain.

À l’échelle locale, des initiatives telles que les journées d’arrachage citoyen connaissent un essor : certains quartiers organisent ainsi des matinées où habitants, élus et techniciens œuvrent ensemble, suivis de moments conviviaux de sensibilisation.

Vers une vigilance de tous les instants

Limiter le développement des espèces invasives en ville, ce n’est pas revenir à une nature « d’avant ». C’est créer les conditions d’un équilibre dynamique, en misant sur la prévention, la diversité, l’implication de tous et l’apprentissage continu. Nos villes du bassin minier et d’ailleurs portent encore, sur les friches et les talus, les traces d’une biodiversité tenace mais fragile. Regarder, signaler, agir à notre échelle, c’est s’assurer que demain, orchis, renards et abeilles trouveront toujours leur place, tout près de chez nous.

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