Vivre, survivre, inventer : les animaux face à la ville à Hénin-Carvin

08/08/2025

Les motifs urbains : un puzzle en mutation pour la faune

À Hénin-Carvin, comme dans beaucoup d’agglomérations du Pas-de-Calais, les paysages sont marqués par la diversité des trames : grands axes routiers, cités ouvrières, terrils en reconversion, parcs de proximité, jardins privés et zones d’activités. Sur environ 16 communes, la densité humaine atteint près de 1 000 hab./km² [source : INSEE], créant des pressions multiples sur la biodiversité.

Dans ce décor, chaque espèce façonne ses propres chemins :

  • Certains oiseaux exploitent les allées d’arbres et les haies de lotissements comme des corridors pour circuler ou s’établir.
  • Les renards urbains arpentent les réseaux de fossés ou tirent parti des friches industrielles pour se reproduire à l’abri de la fréquentation humaine.
  • Les amphibiens profitent de bassins de rétention, souvent riches en insectes, comme substituts ponctuels aux mares naturelles disparues.
La ville agit ici à la fois comme obstacle, mais aussi comme ressource et abri inattendu.

Les stratégies animales pour vivre en zone urbanisée

Inventivité alimentaire et recyclage

La nourriture, souvent perçue comme rare en milieu urbain, se révèle plutôt abondante, mais sous une autre forme :

  • Les pigeons bisets ont largement tiré profit de nos déchets domestiques et des restes de boulangeries. Ils se nourrissent désormais à 80 % de ressources anthropiques selon l’Observatoire des oiseaux des jardins [source : LPO].
  • Les hérissons trouvent larves, mollusques et même du pain trempé dans nos jardins. À Lille, plus de la moitié des hérissons croqués par la caméra sont repérés près des bacs de compost ou de restes alimentaires [Urban Hedgehog Project].
  • Les renards sont des spécialistes du tri, capables de fouiller les sacs-poubelle sans les éventrer.
Pour beaucoup d’espèces, la clé n’est pas tant l’invention de nouveaux régimes, que la gestion des opportunités et des risques liés à la nourriture humaine.

Choisir la discrétion ou l’audace

Les animaux urbains montrent souvent une tolérance accrue à la présence humaine, ou au contraire une capacité de discrétion étonnante :

  • Le gobemouche gris niche régulièrement sous les avancées de toits ou dans les recoins de bâtiments publics, y trouvant cachette et hauteur. À Courrières, un cas rare de cumul de plusieurs couples sous un même abri a été observé en 2022.
  • Les écureuils roux, plus farouches, préfèrent les alignements d’arbres urbains peu fréquentés, adaptant leur nidification à la taille et à l’espacement du mobilier végétal (cf. suivi de la LPO Nord).
  • Certains chauves-souris exploitent les soupentes, caves ou combles inoccupés, refaisant leurs colonies dans des interstices que n’imaginaient pas les bâtisseurs. Les pipistrelles sont ainsi régulièrement recensées à deux pas des écoles ou des parkings souterrains à Hénin-Beaumont.

Se déplacer, traverser, relier : la question des corridors écologiques

Pour les populations animales urbaines, la circulation reste l’un des plus grands défis. Routes, voies ferrées, canalisations et clôtures segmentent les habitats. Les amphibiens, en particulier, paient un lourd tribut : on estime que près de 20 à 30 % des populations locales d’anoures (grenouilles, crapauds) pourraient être fauchées annuellement par la circulation routière dans les secteurs périurbains du bassin minier [biodiversite-npdc.fr].

Néanmoins, des aménagements récents portent leurs fruits, même localement :

  • La ville de Dourges a installé, entre 2021 et 2023, ses premiers écoducs pour petits mammifères et des passages à amphibiens sous la RD160.
  • Les bandes de végétation maintenues le long des anciennes voies de chemin de fer servent de véritables autoroutes vertes, peuplées de rongeurs, mustélidés, et souvent d’oiseaux migrateurs à la recherche de repos durant leurs haltes.
  • Les jardins partagés, surtout ceux connectés par des haies ou alignements bocagers, redessinent des micro-corridors essentiels pour la microfaune (lézards, orvets, coléoptères, etc.).
L’importance de ces corridors s’accroît dans un territoire traversé par de nombreuses infrastructures linéaires. Leur développement accélère la recolonisation de certains quartiers par des espèces naguère disparues, comme c’est le cas de la fouine ou du lérot depuis quatre ans.

Les effets de la lumière, du bruit et des pollutions locales

Vivre en ville, c’est aussi composer avec une lumière omniprésente et un bruit continu. Or, ces facteurs modulent activement les comportements :

  • Les merles noirs chantent désormais plus tôt le matin et plus tard le soir, pour coïncider avec les périodes où la ville est la moins bruyante (MNHN, 2019). On peut ainsi en entendre dans les parcs de Rouvroy ou Montigny-en-Gohelle à 4h du matin…
  • Les papillons nocturnes sont particulièrement pénalisés par l’éclairage public, qui désoriente jusqu’à 60 % de leurs effectifs locaux, réduisant leur reproduction (étude CNRS, 2020).
  • Bruits et vibrations désorientent les chauves-souris : leur densité chute, par endroits, de 30 à 50 % à proximité d’axes très circulants (source : Vigie-Chiro, 2022).
Mais les animaux urbains rivalisent d’inventivité. Certains adaptent leurs chants, leurs horaires d’activité ou leurs déplacements pour échapper aux pics de perturbation. L’usage raisonné de l’éclairage nocturne ou la création de zones tampons végétalisées sont d’ailleurs en expérimentation à Hénin-Beaumont et Oignies depuis 2023.

Rôles écologiques et services rendus par la faune urbaine

La présence animale en ville ne se limite pas à la cohabitation: les espèces y jouent un rôle actif, souvent insoupçonné, pour l’équilibre des écosystèmes urbains. Quelques illustrations concrètes à Hénin-Carvin :

  • Pollinisation : les piérides et bourdons sauvages fréquentant les pieds de talus et les jachères urbaines pollinisent autant d’espèces végétales locales que les ruches domestiques.
  • Régulation naturelle : chaque nichée de mésange consomme jusqu’à 8 000 chenilles et larves durant une saison (GREF Bretagne), limitant les invasions sur les arbres d'alignement.
  • Gestion des déchets : pinsons, corneilles ou renards trient, consomment et dispersent résidus et graines, participant à une forme de ‘service d’épuration’ naturel, modifiant la composition végétale des friches et jardins.

Ces services soulignent la nécessité d’une gestion exemplaire des espaces verts. Chaque taille de haie, tonte différenciée ou choix de végétalisation pèse sur ces équilibres fragiles.

Quand adaptation rime avec dangers nouvelles

L’adaptation n’exclut pas les menaces, parfois exacerbées par la ville :

  • Collisions routières : les hérissons restent parmi les premières victimes de la circulation en région (jusqu’à 30 000 morts par an dans les Hauts-de-France selon Picardie Nature).
  • Propagation de maladies : la promiscuité favorise la diffusion de parasites ou virus, notamment chez les passereaux des mangeoires ou les rongeurs des quartiers denses.
  • Espèces exotiques envahissantes : la présence du frelon asiatique ou de l’écureuil gris représente une concurrence directe pour la faune indigène, avec des effets documentés dès 2019 à Carvin et Estevelles (données FREDON Hauts-de-France).
Les réponses doivent donc conjuguer éducation et aménagements adaptés. Des initiatives de refuge à hérissons, de participation citoyenne aux suivis ornithologiques ou d’aménagements anti-collision se multiplient : elles impliquent à la fois collectivités et habitants.

Quels leviers locaux pour favoriser la coexistence ?

L’expérience de Hénin-Carvin et de sa ceinture périurbaine montre que certains gestes, à la portée de chacun, peuvent accompagner la dynamique d’adaptation animale. Exemples d’actions concrètes portées par les collectivités, associations ou simples riverains :

  • Favoriser les haies diversifiées, y compris en cœur de ville, pour offrir cachettes, ressources alimentaires et corridors.
  • Opter pour la gestion différenciée : laisser des friches fleuries, maintenir des tas de bois ou de feuilles pour les insectes et petits mammifères.
  • Éteindre ou réduire l’intensité de l’éclairage public en seconde partie de nuit, notamment lors des pics de migration ou de reproduction.
  • Installer des abris à chauves-souris et nids à oiseaux sur les bâtiments municipaux ou habitats privés, comme cela se met en place sur le quartier du Marais à Leforest.
  • Participer aux programmes de sciences participatives (Suivi des oiseaux des jardins, SPIPOLL, “Chiroptères en Ville”…), qui éclairent sur la santé de la faune locale.
Chaque geste, chaque aménagement, chaque regard posé sur le vivant façonne une ville plus hospitalière au monde sauvage.

Perspectives : imaginer un avenir partagé

L’histoire de la faune à Hénin-Carvin aurait pu être celle d’une disparition progressive, mais chaque saison démontre la capacité des espèces à inventer de nouveaux usages, de nouveaux chemins, de nouvelles alliances. Même dans les paysages transformés, urbains, miniers, la nature ne cesse de négocier ses places. Comprendre ces adaptations, c’est mieux s’insérer dans cette trame vivante, et décider, chacun à son niveau, de la manière d’y prendre part. De la fenêtre d’un appartement, depuis les sentiers près des terrils ou le long du canal, les animaux tracent chaque jour des ponts invisibles entre ancien et nouveau monde, entre ville et nature.

En savoir plus à ce sujet :