Le visage secret des espèces protégées à Hénin-Carvin : richesse et fragilité de la biodiversité locale

26/06/2025

Les oiseaux protégés, témoins fragiles des milieux diversifiés

À Hénin-Carvin, la diversité ornithologique est remarquable malgré la densité urbaine et la forte artificialisation des sols. Parmi les espèces protégées recensées sur le territoire :

  • L’Alouette lulu (Lullula arborea) : observable parfois sur les friches et terrils, elle est menacée par la disparition des milieux ouverts et la fermeture des espaces par les broussailles. Sa présence signale des espaces encore dynamiques et peu entretenus, essentiels à sa reproduction (Obs-Bird).
  • Le Tarier pâtre (Saxicola rubicola) : oiseau des milieux ouverts et humides, en forte régression dans la région, il trouve refuge sur les berges des bassins de décantation désaffectés ou le long de chemins de halage.
  • Le Martin-pêcheur d’Europe (Alcedo atthis) : son irisation bleue illumine parfois les rives de la Deûle ou des étangs d’Estevelles, marquant la qualité de l’eau et la présence de petites proies aquatiques sensibles à la pollution.
  • La Chevêche d’Athéna (Athene noctua) : cette petite chouette affectionne les vieux vergers ou pâturages à vieux arbres, de plus en plus rares, d’où sa vulnérabilité.

Ces espèces bénéficient toutes d’une protection nationale (arrêté du 29 octobre 2009 pour la plupart), et figurent sur les listes rouges régionales. La raréfaction des habitats favorables, la pression des aménagements et la fragmentation des milieux sont les premières causes de régression locale. Une donnée-clé, souvent méconnue : dans les Hauts-de-France, 37 % des oiseaux nicheurs sont menacés ou quasi-menacés selon le dernier bilan de la LPO (2022).

Amphibiens protégés : trésors cachés des mares et zones humides

Les étangs, fossés, mares de jardins ouvriers et anciennes sablières du secteur abritent une étonnante diversité d’amphibiens, dont plusieurs espèces protégées.

  • Le Triton crêté (Triturus cristatus) : le plus grand triton d’Europe, rare et strictement protégé, est recensé sur quelques mares temporaires du secteur de Courrières et Montigny-en-Gohelle. Il exige des plans d’eau exempts de poissons pour sa reproduction.
  • La Rainette verte (Hyla arborea) : encore présente au nord-est du territoire, elle fréquente les roselières et talus humides, mais régresse du fait de la transformation des berges et de l’usage massif de phytosanitaires.
  • Le Crapaud calamite (Bufo calamita) : l’un des hôtes des zones pionnières sableuses des bas de terrils ou mares temporaires. Il souffre de la disparition de ces habitats étonnamment liés à l’occupation minière passée.

Selon la Société Herpétologique de France, 46 % des populations françaises d’amphibiens sont en déclin. La disparition des mares (80 % ont disparu en 50 ans dans le Nord-Pas-de-Calais selon le Conservatoire d’espaces naturels), la pollution, et le passage routier comptent parmi les principales menaces.

Des chauves-souris à la fois discrètes et essentielles

Treize espèces de chauves-souris pourraient être observées à Hénin-Carvin et sur ses marges, dont plusieurs espèces protégées par la réglementation nationale et européenne (Annexe II de la Directive Habitats-Faune-Flore). Parmi les plus emblématiques :

  • La Pipistrelle commune (Pipistrellus pipistrellus), pourtant localement en perte de vitesse, utilise caves, clochers et arbres creux comme gîtes estivaux ou hivernaux ;
  • La Sérotine commune (Eptesicus serotinus), appréciant les vieux bâtiments des bourgs périphériques ;
  • Le Murin à moustaches (Myotis mystacinus) ou Murin de Daubenton (Myotis daubentonii), proches des cours d’eau et plans d’eau pour chasser les insectes nocturnes.

Les chauves-souris sont des insectivores essentiels dans la régulation des populations de moustiques et papillons nocturnes. Elles sont particulièrement vulnérables : une colonie dérangée en hiver, lors de l’hibernation, peut ainsi perdre plus de la moitié de ses individus. La fermeture de bâtiments anciens, la suppression d’arbres morts et la pollution lumineuse fragmentent leurs territoires. Selon le Groupe Mammalogique du Nord, la densité des colonies de chauves-souris a diminué de près de 40 % en une décennie dans de nombreux secteurs périurbains.

Insectes protégés et milieux remarquables

La faune entomologique d’Hénin-Carvin reste peu connue du grand public, mais recèle de véritables trésors, notamment sur les friches, anciennes carrières et prairies maigres.

  • L’Azuré des paluds (Phengaris nausithous, ex Maculinea nausithous) : ce papillon rare dépend de la présence de la Sanguisorbe officinale dans les prairies humides relictuelles (par exemple à Oignies), mais aussi d’un équilibre subtil avec des fourmis spécifiques (genre Myrmica).
  • Le Grand Capricorne (Cerambyx cerdo) : coléoptère “star” des vieux chênes, devenu extrêmement rare. Il révèle la présence de boisements matures ou d’arbres isolés très anciens parfois encore présents sur d’anciennes propriétés minières.
  • Certains odonates (libellules), comme la Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii), qui pourraient ponctuellement fréquenter les milieux aquatiques locaux non urbanisés.

Selon l’INPN, 14 espèces d’insectes protégées au niveau national sont potentiellement observables sur le bassin houiller des Hauts-de-France. La déprise des pratiques agricoles extensives, l’abandon des prairies et la disparition des arbres isolés expliquent la raréfaction de ces espèces fascinantes.

Plantes rares ou menacées : un patrimoine végétal fragile

Les terrils, friches, pentes caillouteuses et prairies relictuelles d’Hénin-Carvin hébergent encore des plantes rares, dont certaines bénéficient d’une protection nationale ou régionale. Parmi elles :

  • L’Orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis) : orchidée spectaculaire pouvant ponctuellement fleurir sur les substrats pauvres et chauds des terrils re-exposés, pourvu que ceux-ci ne soient pas boisés trop rapidement.
  • La Gentiane pneumonanthe : espèce relictuelle des prairies humides, en grande régression nationale et répertoriée sur seulement 3 sites du territoire (CBN de Bailleul).
  • L’Épipactis à larges feuilles (Epipactis helleborine) sur les talus calcaires et lisières de bois.

La cueillette illégale, l’enrésinement des friches industrielles, l’engraissement des prairies ou la suppression intempestive lors des “nettoyages” restent des menaces majeures pour ces espèces, qui témoignent pourtant de la singularité floristique locale.

Les reptiles protégés dans des refuges inattendus

Si la région est peu favorable aux reptiles, quelques espèces remarquables sont signalées ponctuellement :

  • L’Orvet fragile (Anguis fragilis) : souvent confondu avec un serpent, ce lézard sans pattes, strictement protégé, se faufile dans les herbes hautes, talus et lisières des terrils.
  • La Coronelle lisse (Coronella austriaca) : donnée historique sur le secteur, elle chercherait refuge dans des milieux secs et pierreux, mais n’est plus signalée officiellement depuis plusieurs années (INPN).

L’artificialisation, la fragmentation des habitats et la circulation routière sont les pires ennemis de ces reptiles. En France, 56 % des reptiles sont considérés comme menacés selon l’UICN.

Suivi et recensement local : un travail de terrain minutieux

Le suivi des espèces protégées à Hénin-Carvin s’organise grâce à la collaboration entre associations locales (GON, LPO, CEN), collectivités, experts indépendants et citoyens bénévoles. Les méthodes dépendent des groupes :

  • Écoutes nocturnes (pour amphibiens, chauves-souris),
  • Comptages visuels (oiseaux en vol, papillons, plantes rares),
  • Piégeages lumineux (insectes nocturnes),
  • Saisie participative sur les plateformes grand public comme Faune-France ou iNaturalist, outils de sciences citoyennes.

Les données récoltées alimentent ensuite l’INPN, la base du Muséum national d’Histoire naturelle, et servent à affiner la cartographie des zones à enjeux. En 2022, plus de 200 nouveaux signalements d’espèces protégées ont été enregistrés dans le secteur par la LPO et le CEN.

Réglementation et niveaux de protection des espèces

La protection des espèces s’organise à plusieurs échelles :

  • Protection nationale : la majorité des espèces évoquées ici bénéficient d’un statut de protection réglementaire (Arrêté du 29 octobre 2009 relatif à la protection des oiseaux, Arrêtés relatifs aux amphibiens, reptiles…). Il est notamment interdit de les capturer, transporter, vendre, porter atteinte à leurs œufs ou milieux de vie.
  • Directive européenne Habitats-Faune-Flore : nombre d’espèces font l’objet d’un suivi et d’une obligation de préservation inscrite dans la loi, notamment lors de projets d’aménagement (articles L411-1 du Code de l’Environnement).
  • Classement de certains sites en zones NATURA 2000 ou ENS (Espaces Naturels Sensibles) : dans le Pas-de-Calais, 17 908 ha bénéficient de mesures renforcées.

Toute atteinte à une espèce protégée ou à son habitat peut exposer à des sanctions judiciaires et à des mesures de restauration sur ordre de l’État.

Le rôle-clé des friches et terrils – entre héritages miniers et refuges pour la biodiversité

Les friches industrielles, terrils, pelouses maigres et anciennes voies de chemin de fer représentent de véritables « réservoirs de biodiversité ». Leur mosaïque d’habitats variés, rarement entretenus de manière intensive, autorise la présence d’une faune et d’une flore parfois impossibles à retrouver ailleurs :

  • Espèces pionnières sur substrats pauvres (orchidées, papillons spécialisés) ;
  • Retenues temporaires d’eau pour les amphibiens ;
  • Arbres morts et fissures pour les chauves-souris, oiseaux cavernicoles et insectes saproxyliques.

Le syndicat mixte du parc des Terrils de la Gohelle a recensé plus de 350 espèces végétales, 40 d’oiseaux nicheurs et une dizaine d’amphibiens sur ces écosystèmes industriels reconvertis. Pourtant, ces milieux restent menacés par la boisement artificiel systématique, la tentation de l’urbanisation ou, à l’inverse, par "l’entretien excessif" visant à tout « nettoyer ».

Aider la biodiversité locale – l’action citoyenne à portée de main

La préservation des espèces protégées commence souvent par de petits gestes à l’échelle du territoire. À Hénin-Carvin, chacun peut :

  1. Favoriser la présence de mares, haies libres, vieux arbres et prairies fleuries dans son jardin ou sur les espaces publics gérés collectivement ;
  2. Signaler par photos ses observations naturalistes auprès des associations ou sur les sites de sciences participatives (Faune-France, INPN Espèces, etc.) ;
  3. Éviter de cueillir ou de piétiner les plantes rares et respecter les espaces sensibles lors des balades ;
  4. Soutenir les opérations de maintien et de gestion éco-différenciée sur les terrils, les anciens bassins miniers, et participer aux journées nature ou chantiers bénévoles.
  5. Prendre part aux enquêtes citoyennes saisonnières (comptage des hirondelles, recherche d’amphibiens, recensement des vieux arbres…).

Chaque contribution, même modeste, éclaire un peu mieux le visage secret du territoire et pèse dans la balance pour maintenir, sinon restaurer, le fragile équilibre entre usage humain et vie sauvage.

Perspectives : vers l’émergence d’une nouvelle fierté territoriale

La richesse insoupçonnée des espèces protégées à Hénin-Carvin révèle que l’histoire naturelle du territoire continue de s’écrire. Entre héritage industriel et aspirations résolument tournées vers la transition écologique, elle invite à la vigilance, à la transmission et à l’engagement collectif. L’avenir de ces espèces ne passera plus que par la réglementation mais, surtout, par la réappropriation de cette biodiversité par tous ses habitants et la fierté retrouvée de vivre au sein d’un territoire aussi vivant qu’en mutation.

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