L’influence invisible des rivières et canaux sur le visage de Hénin-Carvin

24/10/2025

Un territoire sculpté par l’eau : comprendre l’empreinte fluviale

Regarder une carte de la région Hénin-Carvin, c’est observer des veines d’eau – naturelle ou aménagée - qui trament nos villages : Deûle, Scarpe, Souchez, haies de ruisseaux et canaux de dessèchement. Ici, la mosaïque de paysages n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence d’une lente et puissante action des cours d’eau. Chaque vallée, chaque terrasse, chaque zone humide raconte leur histoire. À l’échelle des Hauts-de-France, 18 500 km de cours d’eau serpentent (Source : DREAL Hauts-de-France). Sur nos 14 communes, plus de 60 km de linéaires sont dénombrés, du modeste ru champêtre au canal industriel qui a transformé le bassin minier.

Façonner la topographie : comment l’eau a dessiné le relief

La carte du relief local ne serait pas la même sans la lente érosion, la sédimentation et le travail millénaire des eaux. Dès le Quaternaire, la fonte des glaciers a créé des vallées humides, dont certaines sont aujourd’hui à peine perceptibles mais visibles en période de crue. Les terrils, témoins miniers, s’implantent souvent à proximité des axes d’eau, choisis pour acheminer le charbon, mais aussi pour limiter les risques d’inondation sur les sites de triage.

  • La Deûle, jadis rivière sauvage, a été canalisée dès le XVIIIe siècle pour protéger les villages d’inondations et soutenir le trafic fluvial.
  • Les petites rivières endoréiques – qui ne sortent pas du bassin mais se perdent dans les sols – ont façonné des zones de marais peu visibles mais capitales pour la biodiversité actuelle.

Sur un territoire ~40% urbanisé, les vestiges du passé humide se lisent même dans le cœur des villes : mares et collecteurs souterrains rappellent parfois que leurs rues étaient naguère terrain de prairies inondables.

Les cours d’eau, matrice de biodiversité locale

Si l’on peut se promener le long du canal de la Souchez au lever du jour et y voir un martin-pêcheur plonger, c’est que les corridors aquatiques gardent un pouvoir d’attraction unique sur la faune et la flore. À Hénin-Carvin et dans tout le Pas-de-Calais, près de 35% des espèces recensées dépendent directement des milieux aquatiques ou humides (Source : Observatoire Régional de la Biodiversité Hauts-de-France, 2022).

  • La loutre d’Europe, disparue au XXe siècle, recolonise timidement la Deûle et ses affluents (ONCFS, 2021).
  • Les anciennes roselières, asséchées pour l’urbanisation, abritaient jadis le butor étoilé, aujourd’hui sur liste rouge régionale.
  • Plus de 70 espèces végétales protégées poussent dans ces milieux de transition, dont la rare orchidée Epipactis palustris, observée récemment sur la zone humide du Marais de Carvin.

À l’opposé des clichés sur des rivières polluées par le passé industriel, nombre de petits affluents regagnent une qualité écologique encourageante. Depuis 2000, les agences de l’eau recensent une diminution de 41% du nombre de stations qualifiées en état écologique « mauvais » dans le bassin Artois-Picardie (Agence de l’Eau, rapport 2023).

L’eau façonne l’agriculture, de la prairie au champ de céréales

Longtemps, l’agriculture locale s’est organisée autour du régime hydrique dicté par les baisses et montées de rivières. C’est ainsi que la polyculture-élevage perdure encore sur les terrains plus hydromorphes, avec prairies naturelles régulièrement submergées, servant d’abri aux limicoles de passage (vanneaux huppés, bécassine des marais).

Pourtant, le paysage agricole a été profondément marqué par l’aménagement hydraulique. Dès le XIXe siècle, la création des canaux de drainage permet la conversion de vastes fonds de vallée en champs à blé et betteraves. Sur le seul territoire de Hénin-Carvin, plus de 40% de la SAU (surface agricole utile) actuelle correspond à d’anciens terrains humides ou délaissés (Cartographie IGN – Référentiel Parcellaire Graphique 2019).

Type de sol Usages ancien Usages actuel
Prairie inondable Élevage, fauche tardive Maïs, céréales
Marais tourbeux Cressonnière, pêche Boisement, urbanisation
Terrains miniers Non exploités Espaces naturels, friches

Villages, industries et loisirs : l’eau comme colonne vertébrale sociale et économique

L’implantation humaine, tout comme l’industrialisation du bassin minier, ont été commandées par la présence de l’eau. Jusqu’aux années 1950, près de la moitié des hameaux à l’est de la communauté d’agglomération se sont développés tout près des rivières ou canaux. La Souchez, par exemple, servait de voie directe pour transporter charbon, charbonnage et pour alimenter en eau les machines à vapeur.

  • La Deûle et ses canaux associés (dont la canalisation accélérée au XIXe siècle) représentent aujourd’hui près de 10% du trafic fluvial national selon Voies Navigables de France.
  • Loisirs et tourisme : la base nautique d'Auby fait escale entre patrimoine minier et paysages rivulaires, alors qu’au printemps, plus de 4000 promeneurs apostrophent la Route des Étangs de Dourges selon l’office du tourisme (2022).

Le rôle des rivières dans l’économie locale ne faiblit pas pour autant : le canal à grand gabarit International-Nord, en projet depuis 2015, entend renforcer le fret fluvial entre Lens, Hénin-Beaumont et la Belgique.

Rivières et risques : l’art d’apprivoiser les excès de l’eau

Si cette toile vibrante qu’est le réseau hydrographique local offre ressources et beauté, elle s’accompagne de défis. Les épisodes d’inondations de novembre 2016 et janvier 2021 restent en mémoire : des centaines d’hectares sous l’eau, axes coupés, habitations évacuées à Dourges et Carvin.

Le changement climatique complexifie encore la donne. Selon la DREAL, la fréquence de crue centennale a doublé entre 1980 et 2020. Plusieurs leviers sont aujourd’hui expérimentés :

  • Restauration de zones humides tampon – sur plus de 15 hectares autour du Marais de Carvin pour le stockage de crues (Agence de l’Eau, 2023).
  • Désimperméabilisation des sols urbains pour limiter le ruissellement des eaux de pluie en centre-ville.
  • Gestion différenciée des berges laissant place aux herbacées aquatiques qui stabilisent les rives naturellement.

C’est toute une culture de la prévention et de l’aménagement de l’espace qui prend racine autour de l’eau depuis quelques années, soutenue à la fois par collectivités, agriculteurs, naturalistes et citoyens mobilisés.

L’eau, source d’identité et de nouveaux liens au territoire

Au rythme des saisons, la légende des cours d’eau façonne la mémoire collective. Les anciens évoquent le patois lié aux marais, la pêche au goujon sur la Souchez ou les bals nautiques qui marquaient l’été. Ces récits, transmis dans les écoles locales, participent au sentiment d’appartenance territoriale. Et aujourd’hui, une nouvelle génération s’approprie ces paysages d’eau, avec des initiatives :

  • Randonnées naturalistes guidées mettant en valeur le patrimoine fluvial
  • Ateliers de sciences participatives sur la qualité de l’eau (notamment à l’école Marie-Curie de Hénin-Beaumont)
  • Créations artistiques en lien avec les canaux et les étangs, favorisant une restitution sensible du paysage

La dynamique de redécouverte de ces corridors de vie invite à ne plus considérer les cours d’eau comme de simples limites ou obstacles, mais bien comme le fil conducteur d’un territoire en mutation et résilient.

Perspectives : réinventer le rapport à nos rivières pour un territoire vivant

Si les cours d’eau ont modelé nos paysages, ils dessinent aussi notre avenir. La gestion durable des milieux aquatiques et humides reste un défi au cœur des transitions du territoire : adaptation au changement climatique, restauration écologique, plaisir partagé du contact avec la nature. Connaître l’histoire et la fonction des rivières, de la plus discrète à la plus monumentale, c’est s’offrir la clé de lecture d’un pays en train de se réinventer.

L’eau reste une force silencieuse, mais incontournable : qu’il s’agisse de retrouver la loutre à l’aube sur une berge, de redonner place à la prairie inondable, ou simplement de s’arrêter, un soir d’été, sur la musique discrète d’une rivière qui coule… Le territoire de Hénin-Carvin prouve, jour après jour, que les rivières sont bien plus qu’un simple trait bleu sur la carte : elles sont la charpente des paysages et des liens vivants entre habitants, biodiversité et projets d’avenir.

Sources : DREAL Hauts-de-France, Observatoire Régional de la Biodiversité Hdf, Agence de l’Eau Artois-Picardie, ONCFS, Voies Navigables de France, IGN.

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