Rivières, ruisseaux et gestion de l’eau : garants naturels contre les inondations

04/11/2025

Comprendre la mécanique des cours d’eau : une dynamique vivante et essentielle

Les cours d’eau, de la plus petite source à la grande rivière, orchestrent silencieusement la circulation de l’eau sur notre territoire. En France, ce réseau est dense : près de 500 000 kilomètres de cours d’eau sillonnent le pays (source : Office français de la biodiversité, OFB). Dans le bassin de la Deûle, qui concerne directement Hénin-Carvin, le linéaire hydrographique structure les paysages, façonne les sols et conditionne l’usage des terres. Pourtant, la rivière ou le ruisseau qui borde un sentier ne se contente pas de couler : il relaie les pluies, recharge les nappes, distribue l’eau utile aux milieux mais surtout, il amortit et régule. C’est cette fonction de gestion des excédents hydriques qui dessine une première défense contre les inondations.

Le rôle multifacette des cours d’eau dans la gestion de l’eau

  • Régulation naturelle du débit : Grâce à la végétation rivulaire, aux méandres et aux berges naturelles, le cours d’eau ralentit la circulation de l’eau, limitant des pics de crues en aval. Les zones humides associées agissent comme des éponges : elles stockent temporairement jusqu’à 90% du volume d’une crue (source : CNRS).
  • Filtration et épuration : L’eau qui transite dans une rivière est partiellement filtrée par les sédiments, les racines et la microfaune, ce qui réduit la charge polluante avant d’atteindre le milieu.
  • Recharge des nappes phréatiques : Dans les périodes où la pluie excède la capacité du sol à absorber, le cours d’eau déverse un surplus qui vient réalimenter les nappes souterraines. À l’inverse, lors d’étiages, ces nappes restituent une partie de l’eau, préservant la vie aquatique.
  • Distribution et réserve : Les petits affluents, fontaines et fossés sont de précieuses sources en période sèche pour la végétation, l’agriculture locale ou simplement l’alimentation en eau potable.

Comment les rivières préviennent-elles les inondations ? Facteurs-clefs et territoires concernés

Mécanismes essentiels de prévention

  • Méandres et débordements contrôlés : Un lit mineur sinueux et des berges non artificialisées permettent au cours d’eau de sortir temporairement de son lit lors de forts épisodes pluvieux : les crues sont ainsi amorties par l’expansion de l’eau sur des zones inondables naturelles.
  • Zones humides riveraines : Elles servent de bassins temporaires. Par exemple, en Camargue, jusqu’à 60 millions de m³ d’eau peuvent être stockés lors d’une crue majeure (source : Tour du Valat, centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes).
  • Infiltration des eaux : Ruisseaux encaissés et prairies inondables favorisent le retour de l’eau vers le sol plutôt que son ruissellement direct vers les zones urbanisées.
  • Effet tampon forestier et ripisyle : La couverture arborée des berges ralentit la circulation de l’eau, stabilise les sols et limite l’érosion.

Exemples locaux et retours d’expérience

Dans le Pas-de-Calais, la vallée de la Scarpe a illustré l’impact d’une restauration écologique réussie : en redonnant à la rivière ses méandres naturels et en supprimant certains enrochements, le débit de crue maximum a été abaissé de 20 à 30 % lors de certains épisodes, réduisant d’autant les risques d’inondation à Douai et Hénin-Beaumont (source : Agence de l’eau Artois-Picardie).

Ailleurs en France, la renaturation de la Vezouze en Lorraine a également permis à la rivière de regagner ses zones d’expansion, protégeant ainsi des villages entiers lors des fortes pluies de 2022 qui avaient causé des inondations catastrophiques dans les vallées canalisées.

Des menaces multiples pèsent sur le système naturel de prévention

  • Artificialisation des berges : 40 % des rivières françaises ont des tronçons canalisés ou artificialisés (source : Eaufrance), coupant la connexion avec les milieux d’expansion et accélérant les crues.
  • Disparition des milieux humides : Près de 67 % des zones humides a disparu en France depuis le début du XXe siècle, principalement à cause de l’urbanisation et du drainage agricole (source : Ramsar France).
  • Fragmentation écologique : Barrages, seuils et routes cloisonnent les bassins versants, réduisant la capacité du réseau fluvial à répartir les flux et dissiper l’énergie des crues.
  • Changements climatiques : L’augmentation des précipitations extrêmes (+20% en Hauts-de-France entre 1961 et 2020 selon Météo France) et la multiplication des épisodes de sécheresse modifient le régime des rivières, accentuant la variabilité des débits et la fréquence des crues éclairs.

L’actualité illustre régulièrement la fragilité des territoires : à l’hiver 2023-2024, des communes du Pas-de-Calais ont été lourdement touchées par des crues de l’Aa et de la Lys. Dans bien des cas, l’ancienne dynamique naturelle du fleuve avait été entravée par des décennies d’artificialisation, empêchant une gestion douce et étalée de la crue.

Quelles solutions pour préserver la fonction régulatrice des cours d’eau ?

Restaurer le fonctionnement naturel des rivières

  • Renaturation : Suppression des seuils, remise en méandres, replantation de ripisyles pour rétablir la capacité du lit majeur à dissiper l’énergie des crues.
    • En Allemagne, sur la rivière Isar, cela a permis d’augmenter la surface inondable de 67%, abaissant les dégâts lors d’épisodes majeurs (source : WWF Allemagne).
  • Protection des zones humides : Interdiction de drainage, classement en espaces naturels sensibles, soutien aux propriétaires (aides des agences de l’eau).
    • Les tourbières, par exemple, peuvent stocker 3 à 5 fois plus d’eau que le volume d’une rivière moyenne du bassin Artois-Picardie par kilomètre carré.

Optimiser l’aménagement urbain et rural

  • Maintenir ou restaurer des bandes enherbées et végétalisées le long des cours d’eau (20 mètres minimum conseillés par le Code de l’Environnement).
  • Lutter contre l’imperméabilisation des sols (parkings, routes) au profit de solutions végétalisées ou perméables.

Sensibiliser et impliquer les acteurs locaux

  • Éducation des jeunes et accompagnement des agriculteurs, grâce à des contrats de bassin ou les opérations “rivière propre”.
  • Création de plans communaux de gestion des risques inondation en partenariat avec les syndicats de rivière et les agences de l’eau.
  • Incitation à la désimperméabilisation chez les particuliers (toits végétalisés, haies, noues, etc.).

Vers une nouvelle gestion des cours d’eau : vigilance et adaptation face au climat

Le modèle des “rivières domestiquées” montre aujourd’hui ses limites. Les épisodes d’inondations récentes dans les Hauts-de-France, mais aussi dans la vallée du Rhône ou l’ouest de l’Allemagne, rappellent qu’il faut faire confiance à l’intelligence du vivant : les zones d’expansion naturelles, la végétation rivulaire et les fonds instables des rivières sont des alliés plus efficaces, plus économiques et plus durables que les seules infrastructures dures.

Mettre en valeur et protéger ces fonctions écologiques, c’est aussi renforcer la résilience des territoires. L’eau, fluide et imprévisible, doit pouvoir trouver sa place, quitte à redessiner nos usages et à retrouver le rythme lent et souple du passage de la crue : une philosophie délicate, qui demande de la patience, mais s’avère une force précieuse face aux bouleversements climatiques à venir.

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