Reconnecter la nature en ville : stratégies concrètes pour renforcer les corridors écologiques à Hénin-Carvin

02/09/2025

Entre mitrailles urbaines et rivières oubliées : un territoire à reconnecter

Traverser Hénin-Carvin, c’est avancer à travers un patchwork de coeurs d’îlots, cités minières, axes routiers, coulées vertes en devenir et mouillères discrètes. Sur ce territoire tissé par l’homme, la biodiversité circule encore – tant bien que mal – entre restes de terrils, parcs urbains, jardins privés et cours d’eau canalisés. Pourtant, selon le GIEC Biodiversité (IPBES), la fragmentation des habitats reste la première menace pour les espèces animales et végétales en Europe (IPBES, 2019). Les corridors écologiques, ces « autoroutes de la biodiversité », deviennent donc une priorité, même ici, en cœur urbain. Mais à quoi cela ressemble-t-il concrètement à Hénin-Carvin, et comment agir à notre échelle ?

Démêler les corridors actuels : où circule la nature aujourd’hui ?

Avant d’imaginer de nouvelles liaisons, il est essentiel de comprendre ce qui existe. Sur le territoire Hénin-Carvin, plusieurs trames vertes et bleues naturelles subsistent, appuyées par les études du SCOT et les inventaires réalisés par le Conservatoire botanique national de Bailleul.

  • La Deûle et la Souchez : Petite mais précieuse, la Deûle canalisée longe le territoire tandis que la Souchez le traverse. Les berges restent souvent minéralisées, ponctuées de zones enherbées propices à la circulation d’amphibiens, de hérissons, d’insectes aquatiques, mais aussi de mammifères comme la fouine.
  • Les terrils et leurs ceintures boisées : Depuis la reconversion, les terrils d’Hénin-Beaumont, Noyelles-Godault ou Drocourt, reliés entre eux, forment d’étonnants refuges. Certaines espèces d’orchidées (Ophrys abeille, Orchis pyramidal), typiques des pelouses sèches et thermophiles, y ont trouvé refuge, aux côtés du lézard des murailles et de papillons menacés.
  • Les parcs et friches urbaines : Le parc public de la Basserie, à Courrières, ou celui du château de Noyelles-Godault constituent de petites « îles vertes » enclavées mais permettant, pour les espèces mobiles, de progresser à travers le tissu dense.
  • Les jardins familiaux et haies résiduelles : Morcelés, mais bien présents, ces espaces jouent un rôle de relais pour la petite faune (hérissons, musaraignes, différentes espèces d’abeilles sauvages).

Selon l’Observatoire national de la biodiversité, plus de 70 % des corridors écologiques en milieu urbain français subissent des ruptures importantes sur moins de 2 km (INPN, 2022).

Quels obstacles à la connectivité écologique ici ?

Si la ville et ses faubourgs accueillent de la nature, de nombreux freins persistent :

  1. Fragmentation physique : Routes, parkings, clôtures pleines, l’absence quasi-systématique de passages pour la faune rend difficile le déplacement des animaux et l’expansion végétale.
  2. Gestion trop "propre" : Tonte rase, suppression des "mauvaises herbes", plantations ornementales exotiques sans intérêt nourricier renforcent la monotonie urbaine et la pauvreté biologique.
  3. Pression foncière et urbanisation continue : L’extension des lotissements et plateformes logistiques tend à rogner les derniers espaces intermédiaires, déjà étroits.
  4. Eau trop canalisée : Bétonnage des berges, suppression de zones humides, fragmentation du chevelu hydrographique restreignent l’accès à l’eau pour batraciens et insectes aquatiques.

Les solutions qui réconcilient nature et ville : exemples adaptables à Hénin-Carvin

Redonner de l’espace à la continuité écologique ne signifie pas tout bouleverser, mais adapter des gestes, aménager différemment, et valoriser des marges parfois négligées.

Révéler et protéger les corridors existants

  • Cartographier précisément les axes de circulation : À l’aide d’outils SIG disponibles en open-data (comme l’atlas biodiversité communale ou l’INPN), identifier les points relais, passages critiques entre terrils, jardins et parcs.
  • Rendre visible la trame verte aux habitants : Panneaux, balisage, applications dédiées, ces actions sensibilisent et favorisent l’appropriation de la démarche.

Créer et restaurer les liaisons manquantes

  • Installer des passages à faune : Dispositifs simples sous les routes (petites buses, tunnels), ou passerelles dans les zones ferroviaires, afin de reconnecter deux fragments d’habitat.
  • Réintroduire la nature sur l’espace public : Prairies fleuries en pieds d’arbres, haies mellifères sur les talus, micro-forêts urbaines (comme testé à Loos-en-Gohelle), bords de voirie désimperméabilisés contribuent à la porosité du territoire.
  • Restore les ripisylves (végétation de berges) : Plantation d’espèces autochtones, filtrantes (aulnes, saules, iris des marais), création de mini-étangs connectés aux coulées d’eau lors de projets de dépollution.

Multipliez les micro-habitats urbains

  • Hôtels à insectes, gîtes à chauves-souris, tas de bois : Ces refuges sont vite installés même sur de petites parcelles.
  • Inciter à la gestion différenciée : Moins de tontes, fauchage tardif : la diversité floristique grimpe rapidement, et avec elle, pollinisateurs et oiseaux insectivores (Office Français de la Biodiversité).
  • Valoriser les friches, même temporaires : Accorder un statut à ces « espaces de respiration », via occupation événementielle ou écopâturage, tout en maintenant leur substrat sauvage.

Agir collectivement : collectivités, entreprises, habitants

La transition écologique des espaces urbains n’est pas l’apanage des seuls élus ou urbanistes. Dans la Communauté d’agglomération Hénin-Carvin, des initiatives mêlent effectivement acteurs publics, entreprises et citoyens.

  • Les collectivités locales : Adoption de plans de gestion écologique des espaces verts (fréquence de tonte, choix de plantations locales, arrêt des pesticides), intégration de continuités écologiques dans les PLU depuis la loi Grenelle II de 2010, et demandes de subventions via l’Agence de l’eau ou l’Agence régionale de la biodiversité du Nord – Pas-de-Calais.
  • Entreprises : Parc logistique de Courrières ou plateformes de Dourges où certaines franges, en lisière de zones de stockage, commencent à être valorisées : création de mares, toits végétalisés, haies mixtes (initiatives issues du réseau Entreprises & Biodiversité Hauts-de-France).
  • Habitants :
    • Aménagement de jardins naturels : 15 à 20 % des jardins particuliers en France sont « 0 pesticide » et tendent vers un minimum d’accueil pour la faune (Jardiner Autrement, 2023).
    • Soutien à l’observatoire participatif local (ex : "Faune Pas-de-Calais" porté par le GON et la LPO) pour le suivi de la faune en contexte urbain.

Quelques chiffres à l’échelle locale et régionale

  • Les Hauts-de-France abritent environ 13 % des corridors écologiques recensés en zones urbanisées en France métropolitaine (Observatoire régional).
  • Selon l’INPN, dans les projets urbains récents de la région, la revue du facteur « connectivité écologique » a fait gagner 35 % d’espaces « intermédiaires » lors de l’aménagement de nouveaux quartiers entre 2018 et 2022.

Quels arguments pour convaincre ?

  • La trame verte diminue les effets d’îlot de chaleur : jusqu’à 2 à 3°C de moins dans les quartiers dotés de végétation continue (CEREMA).
  • Corridors écologiques et bien-être : Sentiments de sécurité, attractivité résidentielle, impacts positifs sur la santé mentale (OMS, 2022).
  • Préservation des pollinisateurs : Selon l'Observatoire des abeilles, « la pollinisation pourrait croître de 50 % dans les quartiers qui créent des liaisons fleuries ».

Petits pas ou grandes transformations : agir à toutes les échelles

  • Au niveau individuel : semer des plantes mellifères, installer nichoirs, remplacer les clôtures pleines par des haies variées ou des grillages accueillants pour la petite faune.
  • Au niveau collectif : stimuler des ateliers de cartographie participative avec naturalistes, urbanistes, écoles ; intégrer la biodiversité comme critère dès la conception de toute nouvelle voirie ; mettre en place des permis de végétaliser (« Ma rue en vert », une initiative qui pourrait voir le jour localement).
  • Au niveau institutionnel : favoriser l’intercommunalité sur la gestion des trames ; faire remonter les enjeux locaux dans les plans nationaux et européens (Stratégie nationale pour la biodiversité, Régions européennes « Biodiversity 2030 »).

Des pistes d’avenir pour notre territoire

Relier, retisser, expérimenter. Dans un bassin de vie comme Hénin-Carvin, où l’histoire industrielle et la nature se conjugueront encore longtemps, chaque corridor reconquis – même modeste – est un pont lancé entre nos usages et le vivant. Pour la prochaine décennie, la priorité pourrait être donnée aux liaisons entre terrils et cours d’eau via les friches, à la renaturation systématique des rues neuves, à l’essor des sciences participatives, donnant à chaque citoyen, de la maternelle à la maison de retraite, un rôle de « passeur de trame écologique ».

S’il est une conviction partagée, c’est que conserver la biodiversité en ville ne se résume pas à du saupoudrage vert. Il s’agit de concevoir un territoire vivant, où faune et flore peuvent traverser, s’installer, et évoluer aux côtés des habitants. C’est là tout l’enjeu, urgent et enthousiasmant, d’un maillage écologique réellement local.

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