Chauves-souris protégées : comprendre leur fragilité et leur importance au cœur de nos territoires

05/07/2025

Des créatures fascinantes, bien plus proches de nous qu’on ne le croit

À la tombée de la nuit, une ombre silencieuse fend le ciel, traçant des arabesques rapides au-dessus des jardins, des étangs ou des anciens terrils. Au cœur du territoire d’Hénin-Carvin, comme partout en Europe, discrètes mais omniprésentes, les chauves-souris semblent surgir de l’imaginaire… Pourtant, la réalité de leur vie est bien tangible.

Sur les 34 espèces présentes en France métropolitaine (SFEPM), près de la moitié sont considérées comme menacées. Leur protection n’est pas un caprice de lois ou de naturalistes passionnés : c’est le résultat de recherches scientifiques et de longues observations sur le terrain, qui ont progressivement dévoilé la grande fragilité des chiroptères. Pourquoi ces animaux, capables de parcourir des dizaines de kilomètres en une nuit, nécessitent-ils une attention aussi particulière ?

Le rôle écologique irremplaçable des chauves-souris

Avant de comprendre leur statut, il faut prendre la mesure de leur utilité environnementale :

  • Régulation des insectes : Une seule pipistrelle commune (Pipistrellus pipistrellus), qui pèse à peine 5 grammes, peut capturer jusqu’à 3000 moustiques et autres insectes chaque nuit. Les chauves-souris sont ainsi des auxiliaires naturels précieux pour l’agriculture et la santé humaine, limitant la prolifération de ravageurs ou de moustiques porteurs de maladies (Muséum national d’Histoire naturelle).
  • Distributeurs de graines et pollinisateurs : Si cette fonction est surtout remarquable dans les zones tropicales, plusieurs espèces européennes participent également à la dissémination de plantes et à la pollinisation de certaines fleurs (NatureFrance).
  • Indicateurs de l’état de santé des milieux naturels : La présence, ou l’absence, de certaines espèces est révélatrice de la qualité écologique d’un territoire. Beaucoup d’insectivores chassent au-dessus des zones humides, prairies, vieux vergers ou forêts… leur régression signale souvent la dégradation de ces milieux.

Un mode de vie fragile et exigeant : ce qui rend les chauves-souris vulnérables

La biologie des chauves-souris explique en partie leur besoin de protection. Elles cumulent plusieurs traits de vie qui les rendent très sensibles aux perturbations humaines :

  • Reproduction lente : La plupart des espèces n’ont qu’un petit par an, rarement deux. Cela limite drastiquement leur capacité à compenser la perte d’individus ou de colonies entières.
  • Fidélité aux gîtes : Les chiroptères utilisent souvent les mêmes sites d’hibernation ou de reproduction pendant des années, voire des décennies : combles, greniers, arbres creux, anciennes mines ou caves. La destruction ou la rénovation de ces lieux a donc un impact immédiat.
  • Mobilité saisonnière : Beaucoup d’espèces effectuent des migrations ou de grandes distances entre leurs gîtes estivaux et hivernaux, augmentant les risques de collision ou d’épuisement.
  • Sensibilité à la pollution : Elles accumulent dans leurs tissus les pesticides ingérés via les insectes ou l’eau, ce qui peut entraîner des troubles neurologiques, une baisse de la fertilité ou la mort.
  • Dépendance à la diversité paysagère : Nombre d’espèces, comme la noctule commune (Nyctalus noctula), chassent en lisière de bois, sur des prairies fleuries ou le long de haies, autant d’habitats fragmentés sous la pression humaine.

Dangers : des menaces multiples, souvent invisibles

Les pressions qui pèsent sur les chauves-souris sont innombrables. Certaines sont connues, d’autres moins évidentes à percevoir :

  • Destruction des gîtes : Isolation par mousse expansive dans les combles, fermeture d’accès aux caves ou chantiers mal encadrés… Les lieux de reproduction ou d’hibernation disparaissent ou deviennent inaccessibles. Un seul chantier de rénovation peut évincer toute une colonie.
  • Pesticides et insecticides : Depuis les années 1960-70, l’effondrement des populations d’insectes (80 % en 30 ans selon l’étude « Hallmann et al. 2017 » publiée dans PLoS ONE) prive les chauves-souris adultes et leurs jeunes de ressources alimentaires.
  • Éclairage artificiel : L’essor de l’éclairage public (lampadaires LED, signalétique urbaine, éclairage des façades) modifie les comportements de chasse, brouille l’orientation ou condamne certains sites autrefois favorables. Certaines espèces évitent purement et simplement les zones trop lumineuses (source : INRAE).
  • Collisions avec les éoliennes et les véhicules : L’installation croissante d’éoliennes, si elle n’est pas anticipée avec des études sérieuses, peut provoquer la mort directe de chauves-souris, happées par les pâles ou heurtant les mats, souvent lors des déplacements migratoires. Des milliers d’individus sont tués chaque année en Europe (BatLife Europe).
  • Changements climatiques : Saisons plus douces, perturbation de l’hibernation, sécheresses répétées ou canicules assèchent les mares et diminuent l’abondance des insectes, ce qui influe sur toute la chaîne alimentaire.

À cela s’ajillent des croyances tenaces et une image souvent négative associée à la nuit ou à la maladie, alors que les chauves-souris sont des alliées de la biodiversité. Plusieurs espèces sont classées « Quasi menacées », « En danger » ou « Vulnérables » sur la Liste rouge nationale du Comité français de l’UICN.

Quel cadre légal pour protéger les chauves-souris en France et en Europe ?

Textes fondateurs et statut de protection

Depuis plus de 40 ans, la protection des chauves-souris se traduit par des textes nationaux, européens et internationaux :

  • En France : Elles sont toutes intégralement protégées par l’arrêté ministériel du 23 avril 2007 (mis à jour en 2019 pour l’outre-mer), interdisant leur destruction, leur capture, la perturbation volontaire, ainsi que la destruction de leurs sites de reproduction et d’hibernation.
  • En Europe : La Convention de Bonn (CMS, 1979) et la Convention de Berne (1979), mais aussi la Directive Habitats (directive 92/43/CEE), imposent des mesures de conservation et d’évaluation régulière de leur état.
  • Niveau international : L’Accord EUROBATS (1991) exige la coopération des États pour assurer la protection transfrontalière des populations.

Sur le terrain, ces réglementations concrétisent des actions précises (voir SFEPM) : création de sites refuges (chiroptières), limitation de l’accès à certaines grottes, guidage des chantiers de rénovation, plans de gestion, sensibilisation des élus et habitants.

Pourquoi toutes les espèces ne sont-elles pas “égales” ?

Chaque espèce ne présente pas le même degré de vulnérabilité. Certaines, comme la petite pipistrelle, restent largement répandues sur le territoire français, bien que soumises à des perturbations. D’autres, à l’instar du murins à oreilles échancrées (Myotis emarginatus) ou du grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum), ont une aire restreinte, parfois quelques colonies sur une région entière. Leur déclin peut être rapide — disparition de plus de 30 % des effectifs en 20 ans pour certaines populations.

  • Espèces prioritaires ou “parapluie” : Certaines chauves-souris sont ciblées par des Plans Nationaux d’Actions en raison de leur rôle structurant pour la faune ou de leur rareté extrême (plan chauves-souris du MNHN).
  • Inscription dans les “Zones Natura 2000” : De nombreux sites du Nord-Pas-de-Calais sont classés au titre de la Directive Habitats à cause de la présence régulière du vespertilion à moustaches, de la barbastelle d’Europe ou du minioptère de Schreibers.

Ce réseau de protection ne se limite pas à des mesures « papier » : il autorise, par exemple, la limitation de travaux forestiers à certaines périodes, la création de corridors écologiques, ou encore la pose de filets et nichoirs spécialisés.

Comment la protection des chauves-souris s’organise-t-elle localement ?

Au niveau du Pas-de-Calais comme partout en France, la sauvegarde des chauves-souris mobilise un arc complet d’acteurs : Conservatoires d’espaces naturels, associations spécialisées (GON, SFEPM, CPIE…), collectivités, mais aussi de simples habitants.

  • Inventaire et suivi : Depuis plus de 20 ans, des réseaux de bénévoles surveillent l’évolution des colonies, repèrent les gîtes et étudient leur dynamique de population grâce à l’écoute des ultrasons (batbox).
  • Gestion des chantiers : Un diagnostic faune-flore est souvent requis avant rénovation de bâtiments anciens ou de clochers, afin de détecter la présence des espèces et d’adapter les travaux (maintien d’accès, calendrier décalé, conservation de l’isolation ancienne).
  • Sensibilisation : Animations “Nuit de la chauve-souris”, programmes scolaires, opérations “Refuges pour les chauves-souris”, distribution de nichoirs… Les familles sont invitées à prendre soin de ces voisines nocturnes.
  • Restaurations écologiques : Plantation de haies, gestion différenciée des espaces verts (tontes tardives), limitation des éclairages nocturnes, restauration des mares favorisent la circulation et le nourrissage.

Localement, une anecdote illustre la coopération “solidaire” entre humains et chauves-souris : lors de la réhabilitation du terril d’Hénin-Beaumont, la présence d’un groupe de pipistrelles de Nathusius (Pipistrellus nathusii), une espèce migratrice rare pour la région, a entraîné la mise en pause des terrassements pour préserver leur gîte — dispositif salué par la mairie, les naturalistes et les entreprises du chantier.

Des trésors nocturnes à partager et mieux respecter

Comprendre pourquoi certaines chauves-souris bénéficient aujourd’hui d’un statut strict de protection, c’est saisir combien nos modes de vie, nos choix d’aménagement ou de gestion quotidienne influent sur l’équilibre fragile de la biodiversité locale. Ces petites veilles de l’ombre nous rappellent l’importance d’observer, de questionner et de défendre ce qui, parfois, échappe à nos regards diurnes. Prendre le temps au crépuscule de regarder un vol de chauves-souris, c’est déjà faire un pas vers leur sauvegarde.

Pour aller plus loin, des ressources et conseils d’observation ou d’aménagement sont proposés sur le site de la SFEPM, du Groupe Ornithologique et Naturaliste du Nord-Pas-de-Calais et auprès du CPIE Chaîne des Terrils. N’hésitez pas à faire appel à ces réseaux pour participer à la protection de la faune locale ou signaler une colonie en danger.

Sources principales : SFEPM, UICN France, BatLife Europe, MNHN, INRAE, Observatoire Biodiversité Territoires

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