Des cicatrices façonnées par l’homme, devenues sanctuaires pour la nature ? Les anciennes carrières, nouveaux trésors écologiques

18/09/2025

Des origines industrielles à l’émergence d’habitats insolites

La France compte près de 5000 anciennes carrières, d’après le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières). Beaucoup furent exploitées à partir du XIXe siècle pour le charbon, la craie, les grès, l’argile ou encore la craie phosphatée, puis progressivement abandonnées, parfois en laissant des reliefs spectaculaires : falaises, bassins, dunes artificielles…

En région Hauts-de-France, particulièrement autour du bassin minier (dont Hénin-Carvin), cette empreinte est omniprésente. Les terrils, certes emblématiques, ne sont pas seuls : les anciennes carrières d’argile, de sable ou de craie foisonnent, modelant profondément le paysage. Certaines se sont remplies d’eau et ont donné naissance à des mares ou à des étangs, d’autres conservent des talus abrupts ou des affleurements rocheux uniques.

  • La carrière Barrois à Barlin : site majeur devenu réserve naturelle régionale.
  • La carrière de Lestrem : refuge d’orchidées rares, surveillée par des botanistes locaux.
  • La carrière de Meurchin : abrite une biodiversité exceptionnelle au cœur du Pas-de-Calais.

Beaucoup de ces espaces, longtemps laissés à eux-mêmes dans la friche, ont vu apparaître spontanément des milieux rares, parfois plus variés et riches que les milieux “naturels” environnants, ce qui intrigue de nombreux écologues.

Des refuges de biodiversité inattendus

Pourquoi un tel engouement écologique pour ces sites ? C’est d’abord la diversité des milieux, bien souvent rassemblés sur de petites surfaces, qui fait leur force. Une carrière en friche peut cumuler :

  • des plans d’eau (anciens fonds de fouille ou cavités effondrées),
  • des prairies maigres sur substrat minéral,
  • des falaises, éboulis ou gradins rocheux,
  • des mares temporaires (pouvant accueillir des amphibiens),
  • des zones rudérales ou boisements pionniers.

Ce morcellement de milieux et la pauvreté en nutriments du sol (ce qu’on nomme l’olanotrophie) sont recherchés par une multitude d’espèces, souvent inféodées à des milieux aujourd’hui très rares dans nos campagnes remembrées et riches en engrais.

Quelques chiffres révélateurs

  • En Hauts-de-France, 72 % des carrières désaffectées accueilleraient au moins une espèce patrimoniale (source : CEN Hauts-de-France, 2022).
  • À Barlin, plus de 350 espèces de plantes inventoriées, dont 14 orchidées sauvages !
  • Une enquête nationale prend pour exemple la carrière de Saint-Maximin (Oise), où 45 espèces de papillons diurnes et 102 d’oiseaux ont été recensées en moins de 5 hectares (UICN France).

Espèces fascinantes et enjeux locaux

Les amphibiens : des invités de marque

Les mares temporaires, fruits de l’extraction et de l’effondrement, sont aujourd’hui des points chauds pour les populations d’amphibiens menacés par la raréfaction de leurs habitats. À Hénin-Carvin et plus largement sur l’arc minier, tritons crêtés, crapauds calamites et grenouilles agiles trouvent refuge dans ces flaques d’eau instables.

Le triton crêté (Triturus cristatus) voit 80 % de ses sites de reproduction naturels disparaître depuis 30 ans (Société nationale de protection de la nature). Les anciennes carrières, grâce à leurs mares vierges de poissons (prédateurs), constituent des alternatives vitales.

Orchidées et plantes rares : des fleurs pas comme les autres

Les sols pauvres des carrières sont très favorables à nombre d’orchidées sauvages (Ophrys, Orchis, Dactylorhiza…). La carrière de Lestrem, citée plus haut, se distingue régionalement par la présence de l’Ophrys abeille, très rare dans le Pas-de-Calais, ou de l’Orchis bouc, dont le parfum puissant attire les pollinisateurs.

Certaines fougères relictuelles, comme la botryche lunaire, peuvent aussi élire domicile sur les dalles humides ou les parois exposées.

Stercoraires, guêpiers et reptiles : une faune adaptée

Sur les pentes arides et les talus bien exposés, on peut croiser lézards des murailles, couleuvres et insectes fouisseurs. Les mandibules du stercoraires (coléoptères) creusent le sol meuble tandis que le guêpier d’Europe, oiseau méditerranéen coloré, a conquis quelques parois abruptes de carrière, comme à Arleux-en-Gohelle. Ce dernier fait l’objet de suivis annuels par des associations ornithologiques (LPO France).

Protection, gestion et ouverture au public : état des lieux

La prise de conscience du rôle écologique majeur de ces carrières date des années 1990. Depuis, certaines bénéficient d’une protection : 16 réserves naturelles régionales dans le Nord-Pas-de-Calais intègrent d’anciennes carrières, et plusieurs dizaines bénéficient d’une gestion conservatoire (CEN, DREAL).

  • À Barlin, la gestion alterne fermeture partielle au public (zones sensibles aux orchidées) et actions pédagogiques sur des secteurs adaptés.
  • À Lestrem, un circuit d’interprétation s’adresse aux écoles et au grand public, pour découvrir la faune des mares et la flore remarquable.

En revanche, nombre de carrières demeurent non gérées, menacées par le dépôt sauvage de déchets, la recolonisation forestière ou la requalification trop rapide sans tenir compte des trésors biologiques apparus en friche.

Des pistes pour favoriser l’accueil de la biodiversité

L’intérêt écologique d’une ancienne carrière n’est pas acquis d’avance. Il dépend d’un certain équilibre entre ”l’abandon raisonné” et la gestion adaptée. Quelques principes sont mis en avant par les experts du Conservatoire des Espaces Naturels (CEN) et la LPO :

  • Préserver des zones ouvertes alternant mares, friches, pelouses sèches et éboulis.
  • Éviter l’artificialisation des bords ou la plantation massive d’arbres.
  • Restreindre la fréquentation humaine sur les secteurs sensibles (pontes d’amphibiens, nids).
  • Informer et mobiliser les habitants pour surveiller, valoriser et protéger ces sites.

De belles initiatives voient le jour. À Carvin, le projet citoyen autour de l’ancienne carrière Vis-à-Marles propose chaque année des ateliers naturalistes, inventaires participatifs et chantiers pour préserver les mares. À Wingles, des suivis d’odonates (libellules) sont réalisés par des bénévoles passionnés et partagés avec les écoles locales.

Carrières, patrimoine et identité locale : vers une reconnexion

Les anciennes carrières témoignent d’une histoire industrielle et sociale, mais aussi de la capacité du vivant à rebondir sur les marges. Leur remise au-devant de la scène transforme notre regard sur ces « cicatrices » du passé. À l’heure où la biodiversité ordinaire se raréfie dans les campagnes, elles deviennent des supports d’éducation à la nature, d’étonnement et d’implication citoyenne. Du terril végétalisé à la mare artificielle colonisée par les tritons, ces lieux invitent à repenser nos manières d’habiter et de partager le territoire.

Sur Hénin-Carvin, le recensement et la protection de ces micro-paysages constituent un levier majeur pour sauvegarder la biodiversité locale et redonner vie à une mémoire ouvrière. Rendez-vous sur le terrain : qui sait, la prochaine découverte naturaliste se fera-t-elle sur les vestiges d’une carrière oubliée à deux pas de chez vous ?

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